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›› Editorial

COP 21 : entre illusions et scepticismes. Réalités et limites des contributions chinoises

La prise de conscience écologique chinoise…

La place Tian An Men, en alerte pollution rouge, le 8 décembre 2015.

En quelques années, le discours écologique chinois a émigré de la bouche de quelques « lanceurs d’alerte » plus ou moins censurés à celle des plus hauts responsables du pays. La tentation de la censure n’a pas totalement disparu comme l’indique l’épisode insolite de mars 2015, quand la vidéo de la militante écologique Chai Jing, ancienne journaliste de CCTV avait été supprimée de la toile après avoir été publiquement approuvée par le ministre de l’environnement.

Mais le souci écologique est entré dans les consciences politiques au plus haut niveau du Parti aiguillonné par les épisodes de pollution massive de l’air des grandes villes chinoises, dont le niveau catastrophique s’affiche dans tous les médias de la planète.

Le 7 décembre, en pleine conférence de Paris, Pékin a été enveloppé dans un nuage toxique aussi vaste que la moitié de la France qui, depuis le 28 novembre, obscurcissait l’horizon de toute la région. Les 20 millions d’habitants furent pendant trois jours soumis aux mesures drastiques de la première « alerte rouge » décrétée par la capitale depuis que ce système avait été instauré en 2013 (réduction des déplacements officiels, fermeture des écoles, circulation alternée, interdiction des feux d’artifice et des barbecues).

Prenant en compte l’état de l’opinion qui place la pollution au même niveau que la corruption de l’oligarchie en tête des préoccupations des Chinois, le 13e plan qui sera adopté en mars 2016, fait de la protection de l’environnement une des grandes priorités du régime.

Le 30 novembre, le discours de Xi Jinping reflétait ce nouvel état d’esprit. Il a certes encore une fois insisté sur les différences de situations [3] mais il a aussi, à plusieurs reprises, mis en avant la coopération et la responsabilité collective de tous.
Le 13 décembre, Xi Zhenhua, le représentant chinois à la COP 21 jugeait que l’accord « était équilibré, équitable, de portée globale, très ambitieux, durable et efficace ». Jim Yong Kim, le président de la banque mondiale, américain d’origine coréenne, y est également allé de son compliment, n’oubliant personne au passage : « tout ceci n’aurait pas été possible sans l’implication des Français depuis un an, sans les efforts d’Obama et sans l’accord entre les Chinois et les Américains. Dans la crise du climat, il s’agit du changement le plus significatif jamais observé. »

…Et les limites posées par la rémanence du charbon.

Pour autant les congratulations et les belles images cachent une réalité plus complexe et moins réjouissante. L’Inde et la Chine ont certes consenti à des promesses écologiques et promis d’introduire plus de renouvelables (solaire, hydraulique, éoliennes) dans leurs sources d’énergies, mais leur empreinte charbon restera encore très forte. New-Delhi par exemple, envisage de doubler sa production de charbon d’ici 2020 et d’augmenter la puissance de ses centrales thermiques de près de 200 GW équivalant à ses efforts d’énergie verte eux-mêmes affichés à 175 GW.

Quant à la Chine où le poids rémanent de l’industrie du charbon et de ses lobbies reste très important, en dépit de la nouvelle vague industrielle des fabricants de panneaux solaires et d’éoliennes dont une part importante est destinée à l’export, elle s’est elle-même accordée jusqu’à 2030 pour commencer à réduire ses émissions. Trois semaines avant la conférence de Paris, la publication par les statistiques nationales du chiffre corrigé de la consommation de charbon plus importante de 17% que celle annoncée dans les documents antérieurs, a jeté une ombre sur la capacité de la Chine à tenir ses promesses.

Selon Lin Boqiang, Directeur à l’Université de Xiamen du Centre de recherche sur l’énergie, l’absence de commentaires officiels signalait que, confronté à ses nouvelles données, le gouvernement éprouvait quelques difficultés à faire cadrer ses promesses de réduction des émissions avec la réalité. Le fait est qu’en 2015, 155 projets de centrales au charbon ont été approuvés dans le pays.Une indication que la bascule énergétique prendra du temps.

L’empreinte internationale du charbon chinois.

Mais il y a pire. L’empreinte carbone de la Chine, fortement amplifiée par ses stratégies de recherche d’influence et d’expansion économique et commerciale, dépasse très largement ses frontières. En Afrique notamment, la mentalité qui associe le décollage économique aux énergies fossiles est encore bien vivace, attisée par la puissance rémanente des lobbies chinois du charbon qui, par le truchement de la variante africaine des « nouvelles routes de la soie » pousse à la construction de centrales thermiques. Une manière de soutenir la croissance des groupes publics quand, en Chine même, elle se fait plus difficile, handicapée par les pressions écologiques et la faiblesse de la demande.

Selon une analyse de documents officiels chinois, réalisée par le New-York Times, depuis 2010, les groupes publics chinois sont à la tête de 92 projets de centrales thermiques au charbon dans 27 pays. Au cours des décennies précédentes, la Chine n’a pas été la seule à construire de centrales au charbon à l’étranger. D’autres l’on fait, parfois même en coopération avec les groupes chinois. Mais de plus en plus, ce sont les entreprises et les financements chinois qui tiennent le haut du pavé, alors que, freinés par la nouvelle conscience écologique, les investissements des pays de l’OCDE ou des États-Unis se réduisent notablement.

Toutes ces réflexions révèlent une image beaucoup moins claire que celle affichée par la délégation chinoise à la COP 21. S’il est vrai que le politburo a clairement intégré le défi écologique, la vérité oblige à dire que le changement de paradigme énergétique prendra du temps dans un contexte où, en Chine, le charbon compte encore pour plus de 67% des sources d’énergie essentiellement destinées aux industries lourdes, à celles du papier et du ciment, tandis que l’inertie des groupes publics qui cherchent une bouffée d’oxygène à l’extérieur, perpétuent l’empreinte charbon en Afrique, en Amérique du sud et en Asie [4].

Le gaz et le nucléaire, premières marges de manœuvre de Pékin.

Le « mix énergétique » chinois en 2014. Selon le Dr Xue Li, le gaz naturel et le nucléaire dont les parts respectives seraient multipliées par 6 et 10 d’ici 2030, sont les seules marges de manœuvre crédibles de la Chine pour respecter ses promesses de réduction de gaz à effet de serre.

Un papier publié le 10 novembre dernier par le Dr Xue Li, Directeur du Département des stratégies internationales à l’Institut de l’économie globale de l’Académie des Sciences Sociales, revient sur l’ampleur du défi écologique chinois, partie intégrante de la complexité des réformes en cours pour une transition vers moins de gaspillages, plus d’efficacité, de rentabilité et de qualité.

On y lit notamment les mises en garde et l’analyse suivantes. Alors que, dans un contexte où la phase d’industrialisation et de développement économique n’est pas achevée, que la situation économique des provinces est encore très inégale et que la consommation d’énergie par tête continue d’augmenter, le pouvoir chinois devra faire preuve de plus de volontarisme s’il veut tenir ses promesses de réduction de l’empreinte carbone.

Les objectifs fixés par l’accord avec Washington et repris à Paris obligeront le gouvernement à réduire le plus vite possible la proportion du charbon dans son mix-énergétique de 67,5% à moins de 40% au plus tard en 2030. Les efforts seront d’autant plus difficiles qu’en première approche le charbon est bon marché.

Mais, alors que les technologies de piégeage du dioxyde de carbone sont chères, le plan chinois de faire passer la part des énergies non-fossiles de 9,6% à 20% en 2030 représente un défi aléatoire, si on considère qu’il sera difficile de dépasser significativement les 8% déjà fournis par les barrages hydroélectriques et que les parts cumulées de l’éolien, du solaire et de la bioénergie qui ne représentent aujourd’hui que 1,5% des sources d’énergie, ne pourront augmenter que sur le long terme.

Dans l’urgence, et contrairement aux discours à la mode sur les énergies renouvelables, les deux seules options opérationnelles permettant à la Chine de tenir ses promesses restent encore les solutions fossiles du gaz naturel et du nucléaire. Pour Xie qui prend en compte les risques liés au nucléaire, la priorité absolue devrait être attribuée au gaz, dont la part devrait passer de 5,1% en 2014 à 30% en 2030, largement au-dessus de la part du pétrole qui était de 18% en 2014. Quant au nucléaire qui reste le deuxième choix de l’urgence, sa part devrait passer de 1% en 2014 à 10% en 2030.

Le paradoxe du nucléaire civil.

Un paradoxe est passé sous le radar des médias à Paris et n’a été évoqué qu’à la marge au cours de la conférence. Il s’agit de celui selon lequel les promesses écologiques chinoises dépendent en partie de l’expansion massive du nucléaire civil dont le développement est cependant contesté depuis la catastrophe de Fukushima et qui renvoie à la question écologiquement sensible des déchets [5].

Pourtant, le sujet intéresse à la fois la France dont l’énergie est à 77% d’origine nucléaire et la Chine qui met en œuvre un programme accéléré de construction de centrales (25 en exploitation, 26 en construction) dont le nombre atteindra au moins 110 en 2030.

En dehors des coopérations technologiques qui datent des années 80 et des récents accords financiers destinés à renflouer AREVA, un des sujets franco-chinois les plus sensibles est la sûreté nucléaire, à la fois liée à la protection de l’environnement et à la pérennité de la filière.

En janvier 2012, peu après Fukushima, Bernard Bigot prédécesseur de Daniel Verwaerde à la tête du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) avait estimé que si la Chine échouait dans ses projets de nucléaire civil, tant dans le domaine industriel que dans celui de la sûreté, l’avenir de la filière nucléaire française serait lui-même compromis.

Lire aussi :
- Pan Yue et la catastrophe écologique chinoise. Un cri d’alarme à méditer
- Les grandes ambitions du 5e Plenum. Entre « Rêve chinois » et obstacles

Note(s) :

[3Une des plus pertinentes marques de cette différence est que, s’il est vrai que la Chine est devenue le premier pollueur de la planète, les émissions de gaz à effet de serre d’un Chinois sont en moyenne près de 3 fois moins importantes que celles d’un Américain.

[4En Asie, l’empreinte carbone chinoise est visible en Indonésie, au Pakistan et en Inde, au Myanmar, et au Cambodge. Elle cohabite persque toujours avec des projets hydroélectriques.

[5Le « retraitement » des déchêts n’est pas un recyclage. Il est uniquement une séparation entre les élements réutilisables (plutonium et uranium) et les déchêts radioactifs non valorisables qu’il faut stocker.


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