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Manifestation des clients des banques du Henan à Zhengzhou, le 11 juillet. Le gouvernement promet de dédommager les clients de 4 banques du Henan et d’une banque de l’Anhui dont les comptes ont été gelés par une enquête anti-corruption.
Mais les promesses qui ne disent pas quand sera levé l’embargo sur les comptes, ne semblent pour l’instant pas de nature à calmer les rancœurs qui visent à la fois la corruption des autorités locales et leurs tendances répressives.
La banderole en haut des marches dénonce la corruption et la violence du gouvernement du Henan « 反对 河南 政府 腐败, 暴力 » et l’accuse d’avoir détruit le rêve chinois 破坏了中国梦 de 400 000 épargnants (40万储户).
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Depuis avril dernier l’affaire mûrit sous le radar des médias occidentaux, quand 1300 clients de cinq petites banques à Zhengzhou capitale du Henan [1] qui offraient des taux très élevés de rémunération des dépôts, constatèrent que leurs comptes avaient été gelés sans préavis par la banque, alors que des contrôleurs enquêtaient sur un vaste réseau de fraudes.
Trois mois plus tard, les protestations ont pris de l’ampleur sur fond de réactions répressives des pouvoirs publics. Le 10 juillet à Zhengzhou, la police a encerclé et violemment dispersé 3000 déposants de quatre banques rurales du Henan. Rassemblés pour protester devant la succursale de la Banque Populaire de Chine, ils criaient « Rendez notre argent 还我门的钱 », tandis que l’information publique sur les désordres était bloquée par la censure.
Mais des vidéos diffusées par les réseaux sociaux vues par des millions d’internautes montrèrent des policiers en civil chargeant la foule sous des pluies de projectiles, tandis qu’ailleurs des manifestants étaient traînés par les pieds, molestés et assez souvent blessés et conduits à l’hôpital.
Le scandale a pris une dimension nationale impliquant des déposants de plusieurs autres provinces attirés par les taux de rémunération attractifs, quand il est apparu que pour empêcher les clients de venir protester, les autorités de Zhengzhou avaient modifié à distance leurs données des passes-sanitaires Covid-19 pour leur interdire de voyager.
Manipulation des applications Covid-19.

A la mi-juillet plusieurs clients des banques du Henan, venus à Zhengzhou pour tenter de retirer leur argent ont constaté que leur application Covid-19 avait viré au rouge. Ils ont été escortés par la police pour être mis en quarantaine dans un hôtel où ils ont retrouvé quelques dizaines d’autres clients des banques victimes de la même mésaventure. Le blocage des pétitionnaires détournés vers des hôtels est une vieille habitude des autorités locales. L’utilisation de l’Application Covid-19 est une sophistication technologique permettant une manipulation orwellienne des manifestants, dans le contexte ou, en haut lieu, l’aptitude des autorités locales a longtemps été jugée en fonction de leur capacité à préserver « l’harmonie sociale ». Lire notre article L’harmonie en question.
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C’est le cas de Tom Zhang, patron d’une entreprise textile du Zhejiang évoqué par le New-York Times. En arrivant par train à Zhengzhou, venant d’une ville où il n’y avait aucun cas de Covid, il a été contrôlé et détenu pendant 12 heures par la police de la ville, au prétexte que ses alertes épidémiques numériques étaient passées au rouge.
Lire : A Chinese city may have used a Covid app to block protesters, drawing an outcry. (payant).
La victime fait partie d’un groupe de pétitionnaires venus de plusieurs coins de Chine, protester contre le blocage de leurs comptes. Outrés, ils ont affiché sur les réseaux sociaux leur passe-sanitaire passé au rouge sans raison.
Feng Tianyu, enceinte de deux mois, venue de Harbin, 2000 km au nord de Zhengzhou se plaignit amèrement d’avoir été tirée par les cheveux par des policiers en civil : « Nous avons été trompés financièrement, battus physiquement et psychologiquement traumatisés ». Zhang Xia, secrétaire administrative originaire de Hangzhou dit elle aussi avoir été agrippée par les bras et les jambes et frappée au ventre. Hospitalisée, elle a préféré s’échapper en train sur ses béquilles, de peur d’être mise en détention à Zhengzhou.
Les griefs ont rapidement alimenté un torrent ininterrompu d’indignations sur les réseaux sociaux. Hu Xujin, l’ancien rédacteur en chef du « Global Times » surgeon populaire du Quotidien du Peuple s’en est mêlé. Sur Weibo un de ses messages lu par 280 millions de « suiveurs » a fustigé l’utilisation frauduleuse par certains fonctionnaires malveillants des codes de sécurité sanitaire et prévenu que l’abus portait gravement atteinte à l’autorité des pouvoirs publics.
L’investigation en cours suggère que l’incident n’est que la partie émergée de l’iceberg d’une corruption qui remonte à plus de dix ans quand des fraudeurs peu scrupuleux créèrent sur internet des plateformes d’investissements aux rendements anormalement lucratifs pour attirer des déposants de toute la Chine.
La commission nationale de régulation bancaire enquête actuellement sur le Groupe « Henan Fortune », actionnaire de quatre banques du Henan. A l’origine de la création des plateformes illégales leur corruption se double aujourd’hui d’une manipulation des applications Covid-19 pour empêcher les pétitionnaires de venir protester. L’opération a concerné 1317 titulaires de comptes dans les banques du Henan dont 446 étaient déjà arrivés à Zhengzhou quand ils ont constaté que leur Application Covid était passée au rouge.
Les abus d’autorité des fonctionnaires locaux pour tuer dans l’œuf les pétitions venues des provinces vers les grandes métropoles sont une vieille habitude. Mais la manipulation des données Covid individuelles constitue une sophistication nouvelle.
Il y a une dizaine d’années, les opérations de ce type étaient confiées à des « sociétés de services » qui se chargeaient de stopper les protestataires, regroupés manu-militari dans des bus qui les éloignaient du cœur des villes et les regroupaient dans des hôtels désaffectés ou réquisitionnés, à l’abri des regards. Lire : Les contradictions du droit à pétition.
Dans un pays aujourd’hui traversé par la crainte d’un freinage rapide de la croissance, où les prestations sociales (retraites, assurance maladie, aides sociales) restent encore très inégalement réparties, il est impossible de sous-estimer l’importance que les Chinois accordent à leur épargne. Et à quel point une fraude qui la ferait soudain disparaître peut avoir un potentiel d’explosion sociale de grande ampleur.
Conscient des risques politiques le pouvoir avait, il y a quelques années, créé une garantie des dépôts couvrant jusqu’à 500 000 Yuans (74 500 dollars) par client. Mais les comptes de nombres de personnes de la classe moyenne même modeste, sont souvent beaucoup plus fournis.
Feng Tianyu, la dame enceinte citée plus haut, avait par exemple, déposé 160 000 $ sur son compte, comprenant ses économies et la pension de son père. Un autre lui aussi séduit par les taux d’intérêt, avait placé 600 000 $. Un client de Hangzhou, beaucoup plus riche, mais tout aussi naïf avait confié 6 millions de $ à une des banques du Henan aujourd’hui dans la tourmente. Depuis avril, il cherche à les récupérer sans succès.
Tandis que l’enquête sur les circonstances de la manipulation des applications Covid, pourrait dévoiler des compromissions plus vastes impliquant à la fois des fonctionnaires municipaux et des banquiers [2], les autorités sont en alerte.
Les canaux d’information officiels rappellent au public de ne pas se laisser leurrer par le mirage de rendements improbables et se mettent en mesure d’indemniser les victimes des fraudes dont le total pourrait dépasser plusieurs milliards de Dollars US.
Note(s) :
[1] Il y a un an la ville de Zhengzhou avait déjà défrayé la chronique à la suite d’inondations provoquées par la mauvaise gestion d’un barrage par les autorités locales qui fit plusieurs centaines de victimes (lire les mises à jour du 27 juillet et du 3 août de l’article : Au Henan et à Zhengzhou, la « Ville-éponge », un remarquable effort de solidarité des géants du numérique.
[2] Le 23 juin, la Commission de discipline de Zhengzhou annonçait que Feng Xianbin, le Directeur du bureau de préventions des maladies infectieuses de la ville avait été exclu du parti et son adjointe Zhang Linlin relevée de son poste et mutée. Trois autres fonctionnaires que ces derniers avaient chargé de mettre en œuvre la manipulation des applications Covid ont été arrêtés.