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En Europe de l’Est et à Berlin, Li Keqiang manœuvre pour désamorcer la crainte du « péril jaune »

Prudence et séductions.

Cet arrière plan sensible explique à la fois la prudence dont Li Keqiang a fait preuve et les concessions qu’il a consenties durant son périple en Europe où la fréquence des voyages de la haute direction chinoise indique qu’elle est une cible privilégiée des stratégies extérieures de la Chine, sur fond de suspicions commerciales jamais éteintes. Les réticences européennes à accorder à Pékin le statut d’économie de marché, avaient, on s’en souvient, provoqué une sévère crispation lors du dernier sommet Chine – EU à Bruxelles, le 2 juin 2017.

Le prochain organisé à Pékin les 16 et 17 juillet sera l’occasion de fait le point de l’évolution de la relation. Lire : Les vents contraires de la relation Chine – Europe.

Pour faire bonne mesure, ne négligeant aucune initiative pouvant adoucir le contexte, le régime a libéré Liu Xia, veuve de Liu Xiaobo. En résidence surveillée depuis 8 ans, Liu est opportunément arrivée à Berlin, le 10 juillet, dernier jour de la visite de Li Keqiang en Allemagne.

Le 4 Juillet, la veille de son arrivée à Sofia Li Keqiang avait fait publier un article dans la presse locale. Intitulé « Nouvelle vision, nouvelle vision et nouveau voyage », la formule indique à elle seule qu’en Chine les critiques des intrusions et de la recherche d’influence chinoises s’affirmant par de multiples canaux (Institut Confucius, association d’étudiants chinois, échanges académiques) sont prises en compte.

Prenant soin d’affirmer que Pékin apportait son soutien à l’intégration de l’Europe et à la non ingérence dans les affaires intérieures des États, Li a mis l’accent sur la complémentarité entre les « nouvelles routes de la soie » et le développement économique de la région, cible des projets d’infrastructures chinois, dans « le respect mutuel » et le schéma de réciprocité « gagnant – gagnant ».

Mihai Chihaia, expert au Think Tank roumain Strategikon, doctorant en relations internationales fait l’inventaire des actions et investissements chinois dans la région. Depuis l’accord de libre échange avec la Moldavie qui s’ajoute à celui de la Georgie, porte d’entrée de l’Europe, à l’est de la Mer Noire, jusqu’aux investissements en Ukraine, en Roumanie, en Bulgarie et en Grèce le cœur des actions chinoises touchent d’abord aux terminaux portuaires et aux infrastructures de transport et d’énergie. Ils sont appuyés par une myriade de projets d’éducation et de partenariat culturels.

Une étude de l’Institut MERICS ajoute que les agences publiques de Pékin et les instituts Confucius s’activent pour financer des études diffusant la pensée chinoise y compris en recrutant des chercheurs occidentaux qui – critiquant le contrôle des investissements chinois - fustigent la « fermeture du marché européen aux étrangers » et se font les avocats des méthodes chinoises de contrôle d’Internet. Les séductions chinoises sont efficaces puisque Pékin est parvenu à recruter pas moins de 4 anciens premiers ministres européens travaillant dans la nébuleuse des organisations, cabinets de conseil et institutions financières œuvrant au profit des intérêts chinois [1].

En Allemagne, Li Keqiang défend le libre-échange.

A Berlin, où il est arrivé le 8 janvier, tirant profit des mauvaises manières faites à Angela Merkel par D. Trump, Li Keqiang a présenté la Chine en allié de l’Allemagne pour la défense du libre échange contre le protectionnisme de Trump.

Dans une interview au journal économique Handelsblatt, Zhang Ming ambassadeur chinois à Berlin a recruté l’Europe aux côtés de la Chine pour riposter aux taxes américaines : « peuples pacifiques les Chinois et les Européens doivent montrer que la guerre commerciale initiée par les États-Unis est une faute ».

Disant cela Zhang passait sous silence le déséquilibre des échanges avec la majeure partie de pays de l’UE, dont une partie se nourrit de la fermeture de 11 secteurs interdits aux investissements étrangers en Chine, à quoi s’ajoute l’irritation quasi générale, à la source des crispations allemandes, face au détournement des secrets technologiques, que Bruno Lemaire avait qualifié de pillage.

*

En Allemagne, ayant en tête les récentes tensions avec Berlin, précisément sur le thème du pillage technologique, le premier Ministre chinois a insisté sur « le nouveau départ » de la relation et promis des ouvertures. Pour autant les divergences de fond à l’origine des tensions ne sont pas près de disparaître.

En dépit de l’intention commune de préserver l’accord nucléaire avec l’Iran et malgré les projets de BMW d’acheter des batteries au chinois Contemporary Amperex Technology (CATL) investi dans la recherche sur le stockage d’énergie, fabriquant des batteries au lithium pour véhicules électriques qui prévoit d’ouvrir une usine à Erfurt [2], le souvenir des tensions entre Berlin et Pékin sur fond de crispation européenne et de guerre des taxes avec Washington était dans tous les esprits.

*

Le 4 juillet avant que le Premier ministre se mette en route pour l’Europe, Wang Yi, le Ministre des affaires étrangères exprimait publiquement son espoir que « l’Europe ne poignarde pas la Chine dans le dos », craignant que la coopération de certains européens avec les États-Unis ne saborde les bases de la coopération sino-européenne.

Au même moment à Berlin, l’Ambassadeur de Chine Shi Mingde exprimait son inquiétude en mettant en garde contre le contrôle des investissements chinois par l’UE, « protectionnisme déguisé » dit-il, et se demandait si l’Allemagne s’investissait assez pour défendre les intérêts de Pékin et désamorcer la crainte de « la menace chinoise » qui monte en Europe.

La vérité est qu’en dépit des promesses d’un « nouveau départ » visant à apaiser les méfiances européennes, le compte n’y est pas. Surnagent toujours les craintes du déferlement d’investissements chinois mal contrôlés en Europe, les agacements récurrents de la captation de technologies, sur fond d’anxiété diffuse de l’influence politique et académique chinoise.

Véhiculée dans le sillage des routes de la soie par les 160 instituts Confucius installés en Europe auxquels s’ajoute la nébuleuse des investisseurs publics alimentés par l’État, finançant des programmes d’éducation calibrés à l’aune des intérêts du régime, l’influence de la pensée chinoise est, croit-on en Europe, au vu par exemple des prises de position de Viktor Orban (voir la note de contexte), de nature à affaiblir les références au droit et à la démocratie sur le Vieux Continent.

Dans le même temps, l’attrait du marché chinois et la puissance des finances publiques investies si nécessaire sans compter, favorisent l’autocensure des gouvernements européens en mal de « cash » soucieux de ne pas indisposer Pékin.

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Il reste que les interventions politiques de responsables chinois dont le ton est parfois pressant, traduisent l’inquiétude de Pékin que la guerre douanière déclenchée par Trump handicape les exportations, un des moteurs essentiels de la croissance, dans un contexte où la santé économique du pays est moins brillante qu’il n’y paraît.

Le 23 mai dernier, soulevant les protestations indignées de la direction du régime, l’agence de notation Moody’s Investors Services avait pour la première fois en 30 ans abaissé d’un cran la note de crédit de la dette souveraine chinoise.

Passée de Aa3 (haute qualité) à A1 (qualité moyenne supérieure) dans un contexte d’envolée des endettements des ménages, des entreprises et de l’État, aggravé par la formation d’une sérieuse bulle immobilière dont l’éclatement menacerait l’ensemble de l’économie, l’abaissement reflétait la conviction de Moody’s que « la solidité financière de la Chine allait s’éroder au cours des prochaines années, tandis que l’endettement de l’économie continuerait d’augmenter alors que le potentiel de croissance ralentit. ».

Dans ce contexte le freinage des exportations chinoises serait un facteur aggravant.

Note(s) :

[1David Cameron, premier ministre britannique de 2010 à 2016, est à la tête d’un fond d’investissement sino-britannique de 1 Mds de $ dans la cadre « des nouvelles routes de la soie ».

Dominique de Villepin, premier ministre français de 2005 à 2007, dirige une société de conseils au profit des compagnies chinoises à l’étranger.

Jean-Pierre Raffarin, premier ministre français de 2002 à 2005 est membre du Conseil d’administration du BOAO forum, réplique chinoise de Davos et président de la fondation dation France – Chine soutenue par la Banque de Chine.

Romano Prodi, premier ministre italien de 2006 à 2008 est membre du conseil d’administration du BOAO Forum et de l’Institut Chine – Europe des affaires. Lire : Riding China’s Rise : The European Politicians in Beijing’s Orbit

[2Les autres lettres d’intention ou projets concernent la construction par BASF en Chine d’un méga-complexe chimique de 10 Mds de $ sans obligation de JV avec une entreprise chinoise – preuve d’un effort d’ouverture chinois, BASF devenant le premier grand groupe chimique étranger à posséder 100% du capital d’une implantation industrielle en Chine - ; et l’intention de BMW de fabriquer en Chine une version électrique de la « Mini » britannique en coopération avec Greatwall Motor.co


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