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›› Editorial

En Floride, le théâtre d’ombres sino-américain évite les sujets qui fâchent

Quand, sans attendre l’enquête des Nations Unies deux destroyers américains déployés en Méditerranée orientale déclenchèrent, dans la nuit du 6 au 7 avril le tir de 59 missiles de croisière contre la base syrienne d’Al Shayrat en représailles d’une attaque chimique au neurotoxique sarin lancée sur la ville de Khan Sheikhoun (80km au nord d’Homs), le dîner officiel offert par Donald Trump à Xi Jinping en visite en Floride était à peine terminé.

Pourtant, le 7 avril, aucun média officiel chinois n’a signalé cette conjonction qui fit du Président chinois le témoin embarrassé d’une nouvelle volte face stratégique de Donald Trump, venant après la promesse de campagne de ne plus jouer au gendarme du monde. Ainsi Xinhua qui donne le ton de la presse et des télévisions chinoises a préféré se focaliser strictement sur les affaires sino-américaines.

Eliminant toute information parasite, il s’agissait en effet, en amont du 19e congrès, d’abord de réaffirmer la place du président chinois à la même hauteur que celle du Président du pays qui, pour les Chinois, est toujours le plus puissant du monde.

Ainsi, la rencontre de Mar-A-Largo en Floride a t-elle été qualifiée de « positive et efficace », capable de générer une « coopération d’envergure globale », non seulement dans les domaines économiques et du commerce où l’Amérique a été conviée à participer aux projets chinois des nouvelles routes de la soie, alors que la Chine avait été exclue par Obama du Trans Pacific Partnership aujourd’hui abandonné (lire Le « Trans-Pacific Partnership – TPP - », nouvelle bévue stratégique américaine ?.).

S’inscrivant dans le cadre structurel des dialogues économique et de sécurité, deux piliers des échanges sino-américains, le président Xi a appelé à la poursuite des coopérations dans le domaine du droit, de la lutte contre la cybercriminalité et exhorté Trump à mieux aider la Chine dans sa lutte contre la corruption en extradant les criminels chinois en fuite aux États-Unis. En dépit des tensions en mer de Chine du sud, la partie chinoise insiste aussi pour l’approfondissement des relations militaires, même aux niveaux intermédiaires, ferments de la confiance stratégique confortée par les échanges entre les ministères de la défense et entre les deux marines de guerre.

Malaise et prudence de l’exécutif chinois.

Mais les bonnes paroles officielles qui évacuent aussi le champ de mines des chicanes commerciales et des querelles stratégiques, cachent un embarras et une défiance.

C’est peu dire que le régime chinois au style peu expansif, calibrant ses déclarations au millimètre, prenant soin d’articuler sa politique étrangère au classicisme onusien et à la coopération internationale « gagnant-gagnant - 双赢 - », protégé derrière une longue tradition de secret et n’exprimant jamais ses sentiments, est dépaysé par ce chef d’État d’un genre nouveau, exubérant, adepte des « tweet » envoyés en pâture aux journalistes et spécialiste du contrepied, y compris pour les questions stratégiques les plus sensibles, comme celle de Taïwan et, maintenant, celle de l’engagement militaire de l’Amérique au Moyen Orient.

Les tirs de missiles Tomahawk contre la Syrie dans la nuit du 6 au 7 avril qui sont aussi un craquement dans la relation controversée entre Moscou et Washington, viennent en effet après une volte face spectaculaire à propos de Taiwan suivie de deux déclarations contradictoires, la première à propos de Bachar-el-Assad dont Rex Tillerson disait il y a peu que le sort devrait être réglé par le peuple syrien ; la deuxième à propos de la Corée du Nord par Donald Trump lui-même qui menaça d’agir unilatéralement contre Pyongyang si la direction chinoise ne s’impliquait pas suffisamment.

Au cas où Pékin pouvait nourrir des doutes sur la détermination de la Maison Blanche à utiliser la force, la séquence syrienne est au moins de nature à installer une crainte. Fidèle à ses habitudes d’auto-contrôle, Pékin n’en a rien laissé paraître.

La Chine, laconique et sobre.

Le 8 avril, un peu plus de 24 heures après la démonstration de force unilatérale de Trump, Hua Chunying, la porte parole du Waijiaobu donnait la position de la Chine en 3 points, recoupant en partie celle de Moscou. Cependant, elle évitait soigneusement d’accuser directement Washington tout en se tenant à équidistance du pathos sentimental et moral exprimé par la Maison Blanche et de la colère froide de Vladimir Poutine.

Après avoir rappelé l’opposition de la Chine à l’emploi d’armes chimiques, Pékin exigeait une enquête « indépendante et complète » de l’ONU pour déterminer les auteurs de l’attaque au sarin contre Khan Sheikhoun et exprimait le souhait que la communauté internationale s’appliquera à éviter toute nouvelle détérioration de la situation afin de « préserver les progrès politiques durement négociés du processus de paix en Syrie ».

En dépit de ce reproche adressé à Washington dont on comprend bien qu’il est voilé pour ne pas parasiter l’image d’une relation « de respect entre deux grandes puissances », certes heurtée, mais dont le discours officiel dit qu’elle ira en s’améliorant, la partie chinoise a, conformément à l’usage, invité le président Trump à visiter la Chine.

La question est de savoir combien de temps pourra perdurer le théâtre d’ombres officiel qui s’est joué en Floride pour peindre en rose la très sévère rivalité stratégique et économique entre les deux grands hégémons de la planète sans que perce à la surface, poussée par les nationalismes, la force des dissensions. Mais le pire n’est jamais sûr.

*

Pour l’heure, restons en à l’appréciation de Kevin Rud mise en ligne par le Global Times, le 9 avril, qui considère que le terrain de la relation est loin d’être déminé, mais que, pour le moment, l’essentiel est qu’un canal direct entre Xi Jinping et D. Trump ait été ouvert.

Ayant tenu deux fois le poste de premier ministre en Australie de 2007 à 2010 et en 2013, avec un intermède au ministère des Affaires étrangères de 2010 à 2012, Kevin Rud est aussi un expert des questions chinoises ayant mis en 2014 son expérience de la Chine et de chef d’État au service du « Think Tank » américain « Center for Strategic and International Studies », dont le conseil d’administration compte parmi ses membres deux éminents stratèges américains que Pékin considère comme les meilleurs amis de la Chine : Henri Kissinger et Zbigniew Brzezinski.


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Par Malvezin Le 15/04/2017 à 12h14

deux points majeurs manquants

Bonjour,
si votre papier veut résumer les grands dossiers passés en revue, il manque les plus importants :
 le « plan » sino-américain sur le réglement de la crise nord-coréenne
 le « moratoire » sino-américain sur le commerce, la finance mondiale et les hautes technologies
Cdt
LM

Par La Rédaction Le 19/04/2017 à 20h32

En Floride, le théâtre d’ombres sino-américain évite les sujets qui fâchent.

Merci de vos remarques. Il est vrai que l’inventaire des échanges entre Trump et Xi Jinping aurait gagné à être plus détaillé. Mais le but de l’article était ailleurs. Il s’agissait, pour nous de pointer du doigt 2 évidences :

1) Le contraste entre le style Trump émotionnel et extraverti et celui de Xi Jinping calibré et prudent pour qui la diplomatie du tweet est un contresens.

2) L’évacuation complète par les médias chinois officiels de la conjonction entre la présence de Xi Jinping en Floride et la frappe contre la Syrie, en opposition complète avec les principes chinois de non ingérence.

En arrière plan, deux occurrences importantes.

1) En période de préparation au Congrès, où la Chine est tournée sur elle-même, toute aspérité pouvant mettre le régime en porte à faux est oblitérée, d’où l’omerta complète sur les faits embarrassants.

2) Evoqué dans l’éditorial suivant à paraître, le fait que Moscou et Pékin ont, entre 2011 et 2014, opposé 4 veto au CS sur la question syrienne, ce qui, dans l’esprit du Pentagone, justifia une réaction unilatérale de l’Amérique.

Quant au plan sino-américain de règlement de la question coréenne, à notre connaissance, tout indique qu’il n’y en pas de sérieux. Le seul pouvant rallier l’approbation de Pékin étant la décision de Washington de négocier avec Pyongyang. Ce qui nécessiterait un nouveau contrepied de Trump, toujours possible, après celui sur Taiwan. A suivre donc.

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