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Fragiles tentatives de ripostes à l’obsession normative

Il fallait s’y attendre, face à l’obsession de contrôles sans limites, par le crédit social, le foisonnement des caméras de surveillance, le piratage de WeChat et la censure académique et médiatique, apparaissent les premiers signes encore ténus d’une réaction des usagers d’internet cherchant à échapper à la chape de surveillance normative.

Dans un article du 6 août publié sur le site « Quartz », Jane Li révèle quelques initiatives exprimant une résistance à la mainmise grandissante du pouvoir sur le réseau internet.

Quartz est une « start-up » technologique spécialisée en économie touchant plus de 11 millions de visiteurs uniques par mois, animée par d’anciens journalistes de The Economist et du New-York Times.

Travaillant sans contrainte verticale, en brainstorming permanent et autocontrôles croisés effectués en temps réel par messageries reliant les journalistes entre eux où qu’ils se trouvent, ces derniers ont mis à jour plusieurs initiatives d’usagers du net et des réseaux téléphoniques chinois décidés à ne pas rester inertes face aux intrusions du Parti dans les échanges privés.

Logiciels anti-intrusion.

De leurs recherches, il ressort qu’en juin dernier, un développeur chinois qui s’identifie sous le pseudo HiedaNaKan a d’abord mis en accès libre sur le site de la société américaine de logiciels GitHub, filiale de Microsoft, le code d’un logiciel de protection baptisé « FuckMFS » qu’il décrit comme une application du système d’exploitation Android, destiné à riposter au logiciel espion MFsocket [1].

FuckMFS permet de détecter sur les portables et ordinateurs des usagers les intrusions hostiles qui piratent les données des téléphones portables recherchées par la censure chinoise telles que les listes de contacts, les messages et le lieu de leur émission.

Pour le moment les éclaireurs de la riposte aux contrôles tous azimuts ayant une maîtrise suffisante des sciences numériques et du fonctionnement d’internet sont peu nombreux. Certes tout le monde ne maîtrise pas l’installation d’un logiciel. Mais progressivement se développe en Chine un état d’esprit de défiance et de protection anti-intrusion, attesté par la nature des conversations.

Il y est question de « protéger ses données », de « séparer » les équipements numériques entre ceux dédiés au stockage des données et ceux réservés aux communications et même d’utiliser plusieurs téléphones portables.
Sur Pincong, un site d’échanges à la mode où les usagers de VPN s’expriment parfois crûment, les sujets en vogue sont les techniques permettant de contourner la surveillance du net.

On apprend à éviter les adresses basées en Chine pour s’inscrire sur Twitter ou Youtube ou à ne pas utiliser des portables de fabrication chinoise et des claviers d’écriture chinoise, suspectés d’abriter des logiciels espions. Et on conseille de changer fréquemment de pseudos ; de se méfier des conversations politiques qui – ce n’est pas rare dit un usager de Pincong.rock – peuvent vous conduire droit en prison.

Le site fait aussi état des rumeurs de compromissions d’Apple ayant fourni aux autorités chinoises une porte d’accès aux contrôles policiers. Au pire, certaines conversations évoquent même la chute du régime. C’est une extrémité. Le plus souvent les échanges s’accordent pour « rester tranquille », meilleure manière de ne pas avoir d’ennuis.

Les avocats de la liberté harcelés.

La riposte des usagers n’est pas tout à fait nouvelle. Depuis plusieurs années monte la compétition entre d’une part, les usagers avides d’accéder aux réseaux fermés en Chine de Facebook, Google, YouTube et Twitter et, d’autre part, la police du net faisant la chasse aux utilisateurs de VPN permettant de contourner anonymement la « grande muraille » d’internet installée par le pouvoir.

Pour combler le vide laissé par sa censure, le pouvoir politique, espérant tenir la Chine à l’écart de la « cyber-contagion » occidentale, a créé son propre écosystème appuyé sur ses géants du net que sont Alibaba, Tencent et Baidu.

Alors que le moteur de recherche Baidu n’est qu’une pâle imitation de Google, essentiellement parce que, par le truchement de mots clés, il bloque toutes les recherches considérées comme politiquement sensibles par le régime, ce dernier augmente la pression contre les déviants osant défier la censure.

Il y a un an le site Sina.com signalait qu’un programmeur chinois qui vendait un système VPN avait été condamné à 3 ans de prison et à 10 000 Yuan (1420 $). La répression se durcit.

Arrêté une première fois en 2000 et 1er chinois à avoir créé un site de suivi des droits de l’homme en Chine baptisé 64Tianwang, Huang Qi, 56 ans, vient d’être condamné à 12 ans de prison, le 29 juillet 2019 pour avoir « intentionnellement livré à l’étranger des secrets d’État » [2].

Même sa mère, Pu Wenqing, médecin à la retraite, atteinte d’un cancer, âgée de 86 ans est tenue en résidence surveillée à son domicile à Mianyang dans le Sichuan. C’est dans cette sous-préfecture de plus de 5 millions d’habitants, à 100 km au nord de Chengdu, au bord de la rivière Fujiang, que Huang, lui aussi malade, a été condamné.

Pourquoi cette brutalité envers une vieille dame malade ?

En décembre dernier Madame Pu avait déjà été malmenée à Pékin où elle s’était rendue pour plaider la cause de son fils. Dans la capitale elle avait rencontré des diplomates suisses, allemands, italiens, britanniques et américains, auxquels elle avait demandé de l’aide. Ce qui revient à étaler aux grand jour les affres de la politique intérieure chinoise à des pays occidentaux que le pouvoir a toujours considéré comme une trahison.

On se souvient que les contacts avec VOA du professeur Ouïghour d’Ilham Tohti lui avaient valu un emprisonnement à vie en septembre 2014. Lire : Condamnation à la prison à vie d’un intellectuel ouïghour.

De même le parti n’a jamais pardonné à Liu Xiaobo ses relations avec les États-Unis. Ulcéré par son prix Nobel, qui valait une condamnation de la Chine et du parti, ce dernier l’a laissé mourir en prison. Lire : La force du symbole de Liu Xiaobo et la crainte des influences occidentales.

De retour à Mianyang Pu Wenqing s’est attachée les services de Zhang Zanning, un avocat du Jiangxi pour réclamer la libération de son fils, arguant à la fois de sa mauvaise santé et de la faiblesse des charges retenues contre lui, reposant, dit son avocat, sur des preuves entièrement fabriquées par le Parti.

Zhang Zenning n’est pas le premier venu. Le 27 novembre 2015, en plein tribunal de Heyuan, dans la province de Canton, à 100 km au nord de Hong Kong, défendant Wu Hongwei, son client accusé d’avoir participé à Falungong, il avait directement mis accusé Jiang Zemin l’ancien n°1 du Parti jusqu’en 2010, d’avoir enfreint la loi chinoise en créant le « Bureau 610 » pour persécuter Falungong.

Selon une émission de VOA de décembre 2015, Wu Hongwei a été libéré sous caution après avoir passé 100 jours en prison. Fait extraordinaire, Zhang n’avait pas été inquiété. Source : In Southern China Trial, Lawyer Accuses Former Communist Party Leader of Breaking the Law

La sourde inquiétude du sérail.

En haussant l’analyse d’un étage, il faut répéter que les obstinations répressives de l’administration sont loin d’être l’expression d’une assurance sereine. Tout indique en effet qu’au milieu des la guerre commerciale dilatée en rivalité globale avec Washington et alors qu’à ses portes enfle à Hong Kong la plus formidable contestation de son magistère depuis 1997, qui précisément fustige son régime politique, la principale émotion qui anime le Parti est l’inquiétude.

La preuve : Depuis quelques jours et de manière inhabituelle le Quotidien du Peuple multiplie les articles sur la R.A.S. Répétant les arguments de l’inflexible centralité du Pouvoir à Pékin, son insistance sur la « stabilité et la prospérité » mot clés purement matérialistes de sa propre gouvernance de la Chine, manque la partie non visible de l’iceberg qui est la quête de liberté exprimée à ses portes et dont il craint plus que tout une dilatation en Chine.

Le 5 août : « 坚决支持香港警方严正执法制止暴力 - Soutenir résolument la police de Hong Kong pour qu’elle fasse appliquer strictement la loi et mette fin à la violence ».
Le 6 août : « 坚定支持行政长官带领香港特区政府依法施政 - Soutenir résolument l’observation de la loi par la chef de l’exécutif à la tête du gouvernement de la RAS de Hong Kong ».
Le 7 août : « 一国两制”底线不容挑战 – Le principe de base “Un pays deux systèmes“ ne peut pas être remis en cause ».
Le 8 août : « 爱国爱港是香港社会主流 – l’amour de la patrie et de Hong Kong est la tendance majoritaire de la société hongkongaise ».
Le 9 août : « 稳定繁荣是香港市民之福 – La stabilité et la stabilité font le bonheur des Hongkongais »

Note(s) :

[1Le 21 juin dernier Muyi Xiao, une journaliste chinoise basée aux États-Unis, dévoilait au grand public sur Twitter l’existence d’une application d’Android baptisée MFSocket, logiciel espion utilisé par la police chinoise qui l’installe sur les téléphones portables lors des contrôles.

Le logiciel est développé par « Meiya Pico » société d’intelligence et de sécurité numérique créée en 2011 et basée à Shenzhen.

[2Huang Qi qui a créé son site en 1998, a passé la moitié des 20 dernières années en prison (sa dernière arrestation date de 2016). A chacun de ses élargissements il a, sur son site, obstinément repris la dénonciation des conditions de travail et des captations illégales de terres par l’administration.

Surtout il a pris la défense des parents des enfants morts dans le tremblement de terre du Sichuan de 2008, accusant l’administration d’avoir triché sur les matériaux des écoles qui s’étaient effondrées alors que les bâtiments du Parti avaient résisté à la secousse.

Sans tenir compte des pressions sur lui et sa famille, Huang a maintenu son attitude inflexible. Lors de ses procès il s’est souvent insurgé contre la Cour qui refusait d’enregistrer ses remarques. Selon une source anonyme, à la dernière audience, il s’est livré à une violente diatribe contre le Chef de l’État (Source Digital Times).


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