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›› Editorial

Fragilités d’EDF et d’AREVA. Le nucléaire franco-chinois menacé par les écologistes et l’après Brexit

On se souvient qu’à l’automne 2014, après la certification de Hualong-1, premier réacteur nucléaire chinois de 3e génération complètement sinisé débarrassé des contraintes du droit de propriété, la France avait été contrainte de reconsidérer son schéma de coopération avec la Chine où son avantage technologique, qui lui conférait un sérieux levier d’influence sur le marché chinois, a aujourd’hui disparu.

Depuis près de deux années la coopération nucléaire franco-chinoise née en 1978 est en effet confrontée aux conséquences des transferts technologiques concédés par les industriels français et ayant donné naissance à une série de réacteurs parmi lesquels CNP-600, M310 et ACPR-1000 à eau pressurisée devenus les concurrents des Français sur le marché mondial (voir la note de contexte).

Avec l’arrivée sur le marché de Hualong-1 (désignation technique : HPR-1000) la concurrence chinoise a changé de nature dans un marché au potentiel toujours très riche, en dépit des interrogations induites par la catastrophe de Fukushima [1].

Le réajustement de la coopération nucléaire en question.

Alors que le partenaire chinois est devenu un concurrent dont la puissance ne fera qu’augmenter, l’esprit de coopération franco-chinois vieux de 40 ans s’était, faute de mieux, réajusté autour de deux axes majeurs orientés 1) en Chine vers la construction des EPR à quoi s’ajoute le développement d’une filière de retraitement franco-chinoise ; et 2) sur le marché international, autour d’un essai de coopération à l’export dont la cible très médiatisée était la construction à Hinkley Point à 160 km à l’ouest de Londres décidé à l’automne 2013 de deux réacteurs EPR de 1650 GW, produit phare du Français AREVA.

Le projet enveloppé de grandes incertitudes dont Question Chine avait rendu compte dès l’automne 2013 (lire notre article Les tribulations nucléaires franco-chinoises à l’export) était porté par une JV à têtes multiples où EDF, propriétaire de Britsh Energy depuis 2008, détient plus de 50% des parts et ses partenaires chinois de la China General Power Group (CGN) et China National Nuclear Corporation (33% des parts), tandis qu’AREVA fabricant du réacteur pris dans une tourmente financière a renoncé aux 10% d’investissements qu’il avait initialement envisagés.

Or cette double stratégie de remplacement développée en Chine et à l’export qui constituait une variante amoindrie de la coopération nucléaire franco-chinoise est aujourd’hui confrontée à des vents contraires sur ses deux fronts : celui de la Chine avec des manifestations anti-nucléaires ; et celui de la Grande Bretagne où les secousses du Brexit conduisent le nouveau gouvernement de Theresa May à douter de la pertinence de l’investissement et du projet de Hinkley Point.

A chaud, il est trop tôt pour tirer l’échelle et exprimer un pessimisme définitif, mais l’importance historique et toujours actuelle de la question nucléaire et l’ampleur résiduelle de la coopération franco-chinoise imposent de considérer avec lucidité les éléments de la question directement liée à la vitalité de l’industrie française à l’export et à nos relations avec la Chine.

*

La conscience écologique chinoise contre le retraitement.

Le week-end du 6 août, le site de Lianyungang dans le nord du Jiangsu, 200 km au sud de Qingdao a été le théâtre de manifestations populaires déclenchées par la rumeur que la ville accueillerait bientôt la construction d’une usine de retraitement des déchets nucléaires d’un projet franco-chinois porté par AREVA et la China National Nuclear Corporation sur le modèle de La Hague qui traite depuis 50 ans des déchets venus de France, d’Allemagne, de Belgique, de Suisse des Pays Bas et même du Japon.

La nouvelle conscience écologique chinoise de plus en plus sensible à la pollution – il s’agit à ce jour de la plus grande manifestation anti-nucléaire ayant jamais eu lieu en Chine - résonne en écho des grands débats parfois polémiques ayant eu lieu autour de l’usine française de La Hague.

A cet égard, il faut rappeler que le site qui sert d’exemple à la coopération franco-chinoise rejette une partie de ses effluents radioactifs dans la Manche et dans l’atmosphère, une gestion des déchets dite « par dillution » qu’AREVA classe dans la catégorie des pollutions sans effet sur la santé publique, mais violemment combattue par les écologistes derrière Greenpeace dont on ne compte plus les accusations stigmatisant la mauvaise sécurité écologique du site français [2].

Un malheur n’arrivant jamais seul, à ces remises en cause du retraitement français à La Hague s’ajoutent depuis peu des soupçons graves dénonçant des « anomalies dans le suivi des fabrications » (selon l’aveu même du groupe nucléaire français) dont on n’a pas fini de mesurer les effets sur la réputation de l’expertise nucléaire française et la coopération franco-chinoise.

En mai dernier, un article des Echos faisait état de la modification par les usines du Creusot des données des tests de qualité « harmonisées » autour de très imprécises « valeurs moyennes » pour la fabrication de pièces majeures couvrant un large éventail d’utilisation allant du cœur nucléaire même de la centrale (générateurs de vapeur et cuve) à ses composants périphériques tels que les rotors de turbine.

Alors que l’action d’AREVA est affaiblie et que le groupe affichait 2 Milliards d’€ de pertes en 2015 (à la suite de 8 années consécutives dans le rouge), Greenpeace à l’affut de toutes les opportunités pour affaiblir la filière demandait l’arrêt de toutes installations en France et à l’étranger jusqu’à ce que les incertitudes pesant sur la sécurité radiologique soient levées.

*

En attendant, à Lianyungang, le projet de retraitement porté par AREVA et CNNC est en train de devenir un symbole de la mouvance anti-nucléaire en Chine et peut-être une épine dans le pied des grands projets nucléaires chinois. Lors des trois jours de manifestations devant le siège de la municipalité ayant, autour du week-end du 7 août, rassemblé plusieurs milliers de résidents de tous âges qui craignent les conséquences sur l’environnement de leur ville, la police rassemblée en tenue anti-émeutes est assez peu intervenue.

Alors que jusqu’à présent les protestations anti-nucléaires ont été espacées et assez peu virulentes, la direction politique du régime redoute qu’une répression plus musclée entraîne par contagion une épidémie de contestations sur d’autres sites construits dans des zones à forte densité de population, comme c’est le cas pour la plupart des centrales nucléaires dont la totalité est concentrée à l’est et au sud du pays.

Notons enfin que la colère populaire a encore été attisée par le secret dans lequel les autorités ont longtemps tenu le projet sur un site au bord de mer accueillant déjà deux emprises industrielles aux arrières-plans écologiques sensibles : celle de chimie alimentaire du Français Roquette fabriquant de l’amidon à partir de céréales et de pommes de terre et, surtout, celle de 2 réacteurs nucléaires russes (1000 MW chacun) à 30 km du centre ville au bord de la mer jaune, opérationnels depuis 2005 et 2007.

Ces derniers constituant la phase initiale du vaste projet sino-russe de Tianwan qui, une fois terminé, sera le plus grand site nucléaire civil chinois avec au total 8 centrales et une puissance installée de près 10 000 MW, soit plus de 15% de la capacité des 58 centrales nucléaires françaises [3].

Note(s) :

[1Dans un parc global de 400 réacteurs et une puissance installée de 384 gigawatts à quoi s’ajoutent 69 gigawatts en construction et 182 GW en projet partout dans le monde attisés par l’exigence de limiter les émissions carbone, la Chine propose le Hualong-1 à travers une stratégie commerciale très agressive et une série de projets dont le coût total est évalué à 455 Mds de $ représentant 46% de la croissance du parc nucléaire mondial en Chine et ailleurs.

Les autres acteurs majeurs de cette compétition qu’ils soient clients ou opérateurs, sont l’Inde, la Corée du sud et la Russie (représentant à eux trois 30% de la croissance envisagée), les États-Unis avec 16%. Le reste du monde et l’Europe ne comptant plus que pour 8% alors qu’en Europe l’appétit pour l’électricité nucléaire est chute de 10% pour des raisons de sécurité écologique réveillées après Fukushima.

[2S’il est vrai, comme le dit AREVA sur son site, que le retraitement dans un schéma de cycle fermé est une solution d’énergie nucléaire qui divise par 5 la quantité de déchets et leur toxicité, les écologistes font justement remarquer que 5% des déchets radioactifs ne sont pas traités ce qui ouvre la voie à d’infinies polémiques autour de chiffres de pollution marine et atmosphérique dont l’analyse est assez souvent biaisée par des présentations tronquées, exagérées ou au contraire édulcorées selon les intervenants.

Après la catastrophe de Fukushima ces controverses qui brouillent la perception objective des risques et des avantages de la filière participent de la montée des inquiétudes qui, par contagion, se manifestent maintenant en Chine.

[3Rappel des projets de centrales en cours dans le monde : avec 22 centrales en construction (22 GW, soit 35% du parc nucléaire français) la Chine tient la corde ; elle est suivie de loin par la Russie avec 6,5 GW ; suivent les États-Unis avec 5 GW, 2e consommateur mondial d’électricité derrière la Chine.

En France dont 76% de l’électricité produite est d’origine nucléaire et qui fut longtemps un acteur en pointe de la filière, la seule centrale en construction est celle de l’EPR de Flamanville (1600 MWe) dont le chantier débuté en 2007 a connu de nombreux déboires techniques et dont le coût initialement estimé à moins de 4 Mds d’€ pourrait dépasser 15 Mds d’€ pour une mise en service en 2018.


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Par Philippe Le 15/08/2016 à 16h19

Fragilités d’EDF et d’AREVA. Le nucléaire franco-chinois menacé par les écologistes et l’après Brexit.

Interessant...

1) Hinkley Point C is the name of the project not Hinkelpoint.
2) British Energy does not exist anymore, EDF Energy now.
3) « Greenpeace à l’affut de toutes les opportunités pour affaiblir la filière demandait l’arrêt de toutes installations en France et à l’étranger jusqu’à ce que les incertitudes pesant sur la sécurité radiologique soient levées » LOL, sure, excellent idea, let’s shutdown 75% of france electricity supply, at least maybe it will stop Greenpeace France making some stupid suggestions once the battery of their laptop has run out.

Phil

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