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La crise iranienne, une aubaine pour la Chine ? Et l’Europe ?

Regard sur le pragmatisme chinois.

En réalité, la prudence du Financial Tribune iranien procède d’une très ancienne connaissance des stratégies de l’Empire chinois par la civilisation perse, depuis les Han aux prémisses des « routes de la soie » [1], en passant par la proximité entre la Dynastie Tang et les dignitaires - militaires et civils - Sassanides après l’invasion musulmane (637 – 751) (lire : Les très anciennes relations entre la Chine et la Perse.), jusqu’aux tensions actuelles autour du nucléaire où, après avoir cautionné les 10 séries de sanctions onusiennes de 2006 à 2012, Pékin avait été signataire du Plan d’Action Global conclu en 2015 (« Joint Comprehensive Plan of Action » – JOCPA) avant de s’aligner sur la Russie et l’Europe pour tenter de contourner la brutalité américaine.

*

Mais s’il fallait en quelques mots caractériser les très anciennes stratégies chinoises que Téhéran connaît bien, on dirait qu’en fonction de ses intérêts stratégiques toujours placés au centre, à la fois réticente aux alignements et aux choix manichéens, la Chine accommode les contraires en gardant toujours un œil sur les puissants et, notamment Washington, qui pour l’heure, constitue le point focal de sa politique étrangère.

Le récent apaisement de la guerre des taxes entre Washington et Pékin que QC avait anticipé (lire : Où va la guerre des taxes entre Washington et Pékin ?) est le dernier exemple en date de l’importance que les deux accordent à leur relation. S’il est exact que les contentieux les plus graves (captations de technologies, propriété intellectuelle, respect du marché) n’ont pas été réglés, l’armistice conclu le 20 mai tient à distance les risques de déflagration commerciale.

Il consolide les principes d’une relation plus équilibrée « entre grandes puissances » comme aiment à dire les Chinois, articulée au « respect mutuel ». Face à l’impuissance européenne, elle pose Pékin comme un des seuls contrepoids à l’omnipotence américaine.

Si tout indique que l’avenir sera encore pavé de tensions commerciales et stratégiques à propos de Taïwan et de la Mer de Chine du sud, le récent recul des risques de dérapages d’une guerre tarifaire est le symbole de cette relation ambiguë tiraillée par d’incessants conflits où, cependant, les interactions stratégiques, économiques, commerciales, culturelles et académiques – Au Collège de France Anne Cheng évoque même des « autoroutes académiques » entre les États-Unis et la Chine - sont telles que la montée aux extrêmes est improbable [2].

Les plus optimistes disent même que les tensions économiques et commerciales sont le passage obligé des deux économies sur la voie d’une lente intégration complémentaire. Les Ayatollahs à la tête de leur régime théocratique au pouvoir à Téhéran qui considèrent la Chine agnostique aux stratégies farouchement accrochées à ses intérêts dont l’essentiel est articulé à la relation avec les États-Unis ont toutes les raisons d’être sur leurs gardes.

Dans le chaudron du Moyen-Orient.

Au Moyen Orient, Téhéran a d’ailleurs une conscience aigüe de la prudence de Pékin qui s’efforce toujours de se tenir à la « poignée d’éventail », gardant ouvertes toutes les possibilités, sans jamais perdre de vue ses intérêts directs. Dans ce contexte, les Mollahs ont maintes fois constaté que, quand le vent tourne, la Chine n’hésite pas à modifier son cap.

Naviguant depuis 1979 en compagnie de la boussole pragmatique du régime ayant pris la suite des programmes nucléaires civils abandonnés par les Occidentaux, les dirigeants iraniens observent avec attention que le rapprochement chinois prend soin de ménager ses relations, non seulement avec les Palestiniens, amis des Mollahs, mais également avec leurs plus grands rivaux que sont l’Arabie Saoudite, Israël et l’Egypte, sur fond de connivence anti-américaine opportuniste avec Moscou.

En 1992, suivant le retrait de l’Allemand Siemens de Buchehr, la Chine, cédant aux pressions américaines, avait refusé de fournir un réacteur de recherche après une volte-face de l’Argentine sur le même sujet et pour les mêmes raisons. Par la suite, l’insistance de Washington obligea encore Pékin à mettre fin à un traité de coopération nucléaire civil avec Téhéran. En octobre 1997, à l’occasion du sommet Washington – Pékin, la Chine s’engagea à annuler tous ses engagements d’assistance nucléaire à l’Iran.

En 2006, à l’occasion de la visite du premier ministre israélien Ehud Olmert à Pékin, l’exécutif chinois avait tenu à se désolidariser des discours agressifs anti-israéliens d’Ahmadinejad. Lire : Réajustement de la politique chinoise au Moyen Orient.

Ce qui n’empêcha pas la RAND Corporation de produire en 2012 un rapport accusant Pékin d’avoir, « au cours des décennies passées, développé des liens de coopérations articulés aux besoins de la Chine en énergie et aux achats d’équipements militaires chinois par l’Iran », aboutissant, in fine, ajoutait le rapport « à la création d’un contrepoids stratégique aux États-Unis ayant gêné les efforts de Washington pour « dissuader l’Iran de développer des armes nucléaires. »

Lire : Xi Jinping dans le chaudron du Moyen Orient. Quête d’énergie, atouts et limites des influences chinoises.

Note(s) :

[1Pour les historiens chinois, l’histoire de la route de la soie commence en 138 avant J.C. quand l’empereur Wudi des Han confia à Zhang Qian, un officier de la garde de son palais, la mission de se rendre jusqu’au royaume des Yuezhi (月氏), au nord de l’Afghanistan, dans la région des actuels Tadjikistan et Uzbekistan à 4000 km à l’ouest de Xi’an.

L’épopée de Zhan Qian ouvrit la route vers l’Ouest et permit de faire le premier rapport écrit sur la Parthie (nommée 安息 – Anxi), ou Empire Arsacide, jalon culturel et politique de l’histoire perse. Près de deux siècles et-demi plus tard, le Général Ban Chao chargé par l’empereur Mingdi de l’administration de l’actuelle Asie Centrale atteignit la Caspienne avec 70 000 hommes et établit des contacts militaires directs avec les Parthes.

[2Au demeurant l’examen attentif de la situation intérieure chinoise et des déclarations officielles du 19e Congrès et de la réunion de l’ANP 2017 contredit l’image véhiculée par les médias des positions retranchées sans marge de manœuvre. La vérité est que Pékin mesurant à la fois les nécessités de l’ouverture de son marché, adjuvant de sa modernisation, et les risques posés par les féodalités politiques, industrielles et financières opposées à une meilleure intégration économique a tout de même manifesté l’intention de réduire certaines restrictions, allant objectivement dans le sens des requêtes américaines.

Il s’agit du droit de propriété des organismes financiers étrangers, ou des taxes à l’importation d’automobiles réduites de 25 à 15% à compter du 1er juillet (annonce du 22 mai 2018). Dans ces deux secteurs, JP Morgan dans la finance et Tesla dans l’automobile ont déjà annoncé leur intention de s’engouffrer dans la brèche ouverte dans le protectionnisme chinois.


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