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›› Politique intérieure

La pensée politique normative

Un « capital points » mesurant le civisme.

Aujourd’hui l’expérience de mise aux normes se développe dans une trentaine de villes dont Zhengzhou, Wuhan, Luzhou, Shanghai, articulée à un système de « capital points » pouvant s’enrichir ou se réduire comme une peau de chagrin en fonction du comportement des individus étroitement surveillés par des millions de caméras vidéo et mis sur fiches grâce aux performances des logiciels informatiques.

En retour, les bonnes ou mauvaises notes définissant la qualité normée des citoyens, ouvrent ou non l’accès à des services bancaires et pouvent même constituer un critère de délivrance de billets d’avion ou de train.

Point intéressant de l’analyse, l’adhésion des Chinois à ce système n’a pas été immédiate. Une première expérience tentée à Suining dans le Jiangsu, à mi-chemin entre Shanghai et Qingdao, avait imaginé un système de notation bien trop inquisiteur interrogeant les usagers sur leurs croyances religieuses et leurs activités sur les réseaux sociaux. Ayant identifié l’intention de contrôle politique, les citoyens l’avaient rejeté.

Les autorités sont revenues à la charge par le truchement oblique et ludique du commerce où Alipay la plateforme chinoise de paiement en ligne (lire La bourrasque du paiement en ligne.) répertorie les clients en fonction du volume de leurs achats et des commentaires sur les réseaux sociaux.

A part quelques rétifs ayant refusé de livrer le secret de leurs informations personnelles, le projet qui confère des avantages aux « bons clients » (rabais, cadeaux et exemption de caution à la location d’un appartement) a séduit le public.

Mais, ajoute l’Express, rien n’indique que les informations collectées par Alipay « ne seront pas « aspirées » par les bases de données gouvernementales. » Pessimiste, le journal conclut : « Au contraire, tout laisse à penser qu’il y aura, un jour, en Chine, un système global de notation, qui tiendra compte des activités commerciales, citoyennes et politiques de chacun ».

Une enquête de Foreign Policy du 3 avril dernier – dont s’inspire directement l’Express, décrit l’expérience Rongcheng, à l’extrême pointe de la péninsule du Shandong comme le « microcosme prémonitoire des évolutions à venir ».

*

Pour l’heure, le Bureau Politique reste discret sur une éventuelle extension à toute la Chine du système de contrôle et d’étiquetage justifié par le régime qui évoque le besoin de rétablir la confiance dans une société gangrénée par l’individualisme, l’absence de civisme et la corruption à tous les niveaux dont l’ampleur se mesure à l’extraordinaire bilan (plusieurs centaines de milliers de mises à pied, mises examen, condamnations de cadres du Parti) de la campagne de redressement éthique conduite par Wang Qishan depuis 2012.

Si l’on se souvient que ce dernier, ancien n°5 du régime, atteint par la limite d’âge du Parti en 2017, a été promu vice-président de la République par Xi Jinping, on comprendra que le régime a l’intention de poursuivre la mise aux normes sans faiblir, au risque, explique le sociologue Zhang Lifan, l’un des rares critiques s’étant exprimé ouvertement, « de transformer la Chine en un état policier et carcéral », effet pervers de la stigmatisation les déviants.

Enfin, QC l’avait également signalé, c’est au Xinjiang, en réaction aux menaces séparatistes ayant un arrière plan religieux que la politique de mise aux normes s’exprime peut-être avec le plus de brutalité.

Surveillant au moyen de centaines de milliers de caméras la population répertoriée sur fiches sans mesure, la police qui collecte les ADN des Ouïghours de 15 à 25 ans, intervient sans mandat, sur simple dénonciation, avant même qu’un délit ne soit commis.

Résultat, des centaines de milliers de Ouïghours - un article du Washington Post cite le chiffre de 500 000 à 1 million de prisonniers dans des camps -, parmi lesquels - bêtes noires du régime – des journalistes chinois et leurs familles recrutés par Radio Free Asia ayant pris le risque de diffuser des reportages sur la répression. Selon ces témoignages, nombre d’arrestations ne concerneraient que des Ouïghour en prières ou habillés de « vêtements musulmans ».

Sur la « mise aux normes » des religions en Chine, lire : Contrôle des religions. Islam en Chine et troubles au Xinjiang.

Note de Contexte.

Les multiples faces de la pensée chinoise renvoient constamment à cette vision normative, morale et immanente du pouvoir politique, ayant, au passage, l’avantage de conforter le pouvoir en place considéré comme « orthodoxe » et « conforme au 理 – l’ordre naturel - », dont J.F. Billeter expliquait dans son pamphlet « Contre François Jullien » qu’il « condamnait la Chine à l’immobilisme politique ». (Lire notre article sur « Contre François Jullien »).

Anne Cheng a longuement travaillé sur les divers aspects, en apparence contradictoires, de la pensée politique chinoise qu’elle à présentées dans un cours au Collège de France en commentant une fresque datant des Han (contemporains de l’Empire romain) imaginant une rencontre mythique entre Confucius et Lao Zi où le « Vieux Maître » - peut-être imaginaire - énonce par la notion de « non agir » une critique d’essence quiétiste et libertaire de l’enseignement confucéen.

Par le fameux quatrain aphoristique glorifiant l’inaction politique il stigmatise les effets pervers de l’interventionnisme politique normatif : 為道日損 ; 損 之日 損 ; 以 至 於 無 為 ; 無為 而 無 不 為 (Wei Dao Ri Sun ; Sun Zhi Ri Sun ; Yi Zhi Yu Wu Wei ; Wu Wei Er Wu bu Wei - Dans la poursuite du Dao, chaque jour on abandonne quelque chose et on en fait toujours moins. Jusqu’à parvenir au « non agir ». Et quand rien n’est entrepris, tout arrive malgré tout. La formule rappelle étrangement celle de Nietszche « Rien ne vaut rien. Il ne se passe jamais rien et cependant tout arrive. Mais tout est indifférent. » (Ainsi parlait Zarathoustra).

L’utopie complexe aux vastes implications, spécule que si l’intervention des hommes était réduite au minimum, le monde se porterait mieux. L’idée étant qu’il fallait laisser se dérouler le cours naturel des choses 理 Li, à ne pas confondre le Li 礼, des rites qui avec la bénévolence 仁 ren, la vertu de l’étude 学 Xue ; la piété filiale Xiao 孝, la sagesse 智 et la droiture 义 yi, forment l’armature très ordonnée de l’humanisme confucéen.

Voir Anne Cheng : Anne Cheng : Brève rencontre entre Confucius et Laotzi

Henri Maspero (1883–1945), mort en déportation à Buchenwald et successeur d’Edouard Chavannes à la chaire de Chinois au Collège de France en 1918 a, dans ses études du Dao De Jing et du Zhuangzi identifié dans l’enseignement, il est vrai très ésotérique du Dao, 道 « le moyen du salut de l’individu par lui-même », y compris jusqu’à l’individualisme libertaire, conférant à cette pensée une image d’opposition protestataire dont la persécution commença bien avant les Ming pour s’aggraver progressivement.

Après le mouvement du 4 mai, les temples et la religion furent en partie interdits, et le recrutement des moines cessa. Comme pour toutes les religions, le paroxysme de la persécution a atteint son apogée durant la révolution culturelle. Il fallu attendre la mort de Mao pour assister à un renouveau.

Il serait cependant erroné de croire que le Taoïsme serait seulement un « individualisme libertaire et contestataire » échappant aux visions théologiques du Monde Chinois inscrites dans un cadre cosmique produisant la philosophie politique de l’Unité. Jean Levi explique « qu’à l’image du Tao, le souverain est Un ». La croyance renvoyant elle aussi à la “normalisation politique“, vecteur « de l’uniformisation du territoire et de la centralisation de l’autorité ».

Aujourd’hui Xi Jiping associe même l’actuel durcissement répressif à la référence taoïste du légiste Han Feizi (279–233 av JC) [1], dont la conception d’une justice « inscrite dans un cadre cosmique », expression « d’une sagesse froide, lucide et quelque peu désabusée » (Jean Levi) est sensée compenser la non séparation de la justice et de l’exécutif, puisque pour les légistes, « l’ordre absolu est celui de la nécessité pure commandée par l’ordre des choses et non par l’arbitraire d’un seul. ».

Note(s) :

[1Depuis son avènement Xi Jinping a souvent fait référence à Han Feizi connu en Occident comme le « Machiavel chinois ». La dernière évocation date du 20 mars lors de son discours fleuve de 3h30 au Congrès.


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