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›› Editorial

Les chiffres, l’intention politique et le talent de l’habillage

Depuis deux semaines le Conseil des Affaires d’État fait circuler les chiffres de croissance 2017 à 6,9 % en hausse par rapport à ceux de 2016, accompagnant un discours sur la stabilisation de l’économie.

Bien que tous les économistes savent que les évaluations de la croissance passée exige au moins 5 mois de travail statistique, l’information d’un rebond de la croissance chinoise à la décimale près est cependant reprise sans nuance par la plupart des analystes.

En France par exemple, l’estimation annuelle définitive de la croissance passée n’est publiée par l’INSEE que vers le 15 mai, après plusieurs étapes rendant d’abord compte des résultats du 4e trimestre eux-mêmes diffusés en deux fois. D’abord sous le titre « premiers résultats » à la mi-février, puis 6 semaines plus tard sous le titre « résultats détaillés ».

Même les chinois ne sont pas dupes qui, à l’occasion, rappellent qu’en Chine, derrière les chiffres, se cache toujours une intention politique.

Celle-ci est présente partout et de plus en plus, exprimant depuis 2012 un recul par rapport aux tendances précédentes où l’exigence de vérité commençait à imprimer le travail des cercles académiques, notamment dans le domaine des sciences humaines qu’il s’agisse de l’analyse historique où des études sociales.

Aujourd’hui, la tendance à la prévalence politique est de retour. Elle est partie du projet officiel visant à consolider le pouvoir du Président par l’optimisme des résultats. En économie, les vieilles tendances à « l’enrobage » des chiffres et des réalités ne faiblit pas.

S’il est vrai que la croissance a permis de sortir le pays de la pauvreté et notamment de hausser le PNB par habitant exprimé en parité de pouvoir d’achat passé de 125 € par mois au début des années 80 à près de 1200 € aujourd’hui, la synthèse optimiste rendue publique comme à l’habitude après de très courts délais induisant des doutes sur sa crédibilité, ne rend pas compte de l’état réel de l’économie et de ses fragilités.

La face cachée des statistiques.

Le site privé d’analyse économique Xerfi, créé en 1993 par Laurent Faibis (IEP Paris, ESC Rouen), explique que, pour les moins riches – au bas mot 500 millions de Chinois -, la croissance a été en moyenne deux fois plus faible avec un PIB / hab à moins de 800 €. Leur part dans le revenu national a chuté de 27 à 15% en 30 ans, tandis que celle des 10% des revenus les plus riches passait de 25 à 41%, faisant de la Chine un pays où le taux des inégalités bien plus fort qu’en Europe se rapproche de celui observé aux États-Unis.

L’optimisme d’un rebond de croissance ne rend pas non plus compte de l’accumulation des dettes à plus de 250% du PIB générées à 60% par les groupes publics avec un léger tassement au 3e et au 4e trimestre.

S’il est exact que les dettes ne sont pas dépendantes de la finance internationale, leur accumulation n’en traduit pas moins de profondes fragilités structurelles soulignées par le FMI et rappelées par le Quotidien du Peuple. L’emballement de la dette interne chinoise, qui se rapproche lentement de celle du japon (350% du PIB), est sans commune mesure avec celles des autres émergents (32% pour le Brésil, 25% pour la Russie, moins 3% pour l’Inde). Lire : Le Quotidien du Peuple met en garde contre les risques de crise financière.

Excès d’investissements.

Les raisons de ce dérapage sont connues et ont été maintes fois analysées dans les colonnes de QC (La face cachée de la dette.). Excès de dépenses publiques comme remède aux ralentissement global, laxisme des banques [1], projets d’aménagement du territoires en cascade aux retours aléatoires (en 2017, +14,7% d’investissements pour les infrastructures de transport et +25,2% dans l’épuration des eaux, les ouvrages d’art – ponts et barrages – et les parcs publics).

Dans un contexte où le taux de retour des investissements est en sérieux recul, les facilités de crédit maintiennent en survie artificielle des entreprises non rentables mal gérées et incapables d’honorer leurs dettes que le pouvoir chinois lui-même a qualifié de « zombies » (僵尸 公司 – jiangshi gongsi). Ces vulnérabilités vont cependant de pair avec la remise en ordre et la réduction des surplus des entreprises publiques des secteurs de l’acier et du charbon.

Parallèlement, la faible rentabilité du capital dans le secteur public (4,9% contre 13,2% dans le privé) favorise le gonflement très rapide du prix des actifs, notamment dans l’immobilier dont le risque a été relevé par Xi Jinping lors de son discours fleuve du 19e congrès où il a remarqué que « les logements ne sont pas faits pour spéculer mais pour se loger. »

S’il est vrai que les surfaces inhabitées mises en vente sans trouver d’acheteur ont diminué, il n’en reste pas moins que le secteur présente deux graves fragilités articulées autour des 400 millions de mètres carrés inoccupés (en baisse de 20% depuis 2015) dont une part importante est mise sur le marché sans trouver preneur, à quoi s’ajoute le prix moyen du m2 en hausse de 20% en deux ans, quand l’inflation moyenne des biens et services est officiellement inférieure à 3%.

En dépit de la part du PIB de la consommation à 50%, cependant très en dessous de la moyenne des économies mondiales à plus de 70% [2], et malgré le pourcentage de la part des services également en augmentation [3] à 51,6% (chiffres banque mondiale), la croissance en Chine reste encore fortement dépendante de l’investissement public dont l’ampleur n’est pas durable à ce niveau et, d’autre part, du commerce extérieur très excédentaire avec une valeur moyenne de 2000 Mds d’€ d’exports contre 1650 Mds d’€ d’imports, créant un excédent de plus ou moins 400 Mds d’€ selon les années.

*

Au delà de ces réalités économiques plus tendues, dessinant un fort contraste avec la période allant de 2001, date de l’accès de la Chine à l’OMC, ayant inauguré une période de croissance soutenue jusqu’au pic de +15% en 2008, à l’année 2011 quand commença de la décélération régulière qui continuera en 2018, se dessine le problème politique d’un pouvoir ayant à accommoder la transition vers une croissance plus « normale », forcément génératrice de déceptions, d’angoisses et de tensions sociales.

C’est bien ce à quoi s’emploie le président Xi Jinping avec un certain talent, fixant au peuple chinois des buts à atteindre à long terme ayant une forte vertu à la fois rassurante et emblématique dont le parti fait la publicité en évoquant « la dimension historique des deux objectifs de 100 ans » - 两个 一百年 伟大目标 的历史 纬度 - ».

Note(s) :

[1Les efforts pour contrôler la finance et l’évasion des capitaux ont porté leurs fruits, mais dans sa dernière livraison de China Leadership Monitor (janvier 2018) Barry Naughton explique que les mesures prises avant le Congrès étaient à court terme et ne se sont pas attaquées aux causes structurelles.

Le 9 mai2017, le Quotidien du Peuple publiait à la une, suivie d’une analyse couvrant toute la 2e page, un article non signé citant une « source autorisée » qui mettait en garde contre les risques de la relance budgétaire de dettes pouvant déraper vers une crise bancaire et une dangereuse évaporation des économies des ménages.

[2Contrairement aux idées reçues, la progression des ventes au détail toujours dynamique (aujourd’hui de +8,5%), a sérieusement ralenti depuis 2012, année durant laquelle elle était supérieure à 12%, signe que l’économie ne progresse que lentement vers la prévalence de la consommation.

[3Au Royaume Uni, en France et Allemagne la part des services dans le PIB est respectivement 79%, 78,8% et 68,8%


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