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›› Politique intérieure

Les nouveaux « légistes » et l’idéal démocratique

A une semaine de la date officielle du nouvel an chinois, alors que les migrations annuelles ont commencé sous le signe de la contrainte épidémique et de la nervosité du pouvoir, la rubrique politique intérieure évoque l’exécution d’un responsable du parti convaincu de corruption, la réapparition du milliardaire Jack Ma fondateur d’Alibaba et le projet de remettre au moins partiellement en cause le système du « Hukou », le passeport intérieur institué il y a soixante ans, principal outil de gestion et de contrôle de la population.

N’ayant en apparence aucun lien entre eux, ces trois sujets renvoient cependant au contraste entre la pensée politique chinoise légiste normative dont se réclame Xi Jinping [1], et l’idéal démocratique. La réflexion s’impose alors même que, sous le coup des incertitudes nées des tensions épidémiques, mais pas seulement, le rêve de « La fin de l’histoire » de Francis Fukuyama s’est éloigné.

Le voilà en effet battu en bêche par l’exigence d’efficacité collective, principal argument des systèmes autocrates. En ces périodes de tensions et de vulnérabilité où les convictions hésitent, ces derniers ont en effet l’apparent avantage d’éliminer l’inconfort de l’incertitude, en spéculant de manière vertueuse sur la solidarité de tous.

Alors que les démocraties dont le choix existentiel consiste, comme le soulignait Stéphane Haber dans « Raisons politiques » à « affronter l’imperfection constitutive des choses du monde », « par des institutions capables dans les meilleurs des cas de supprimer le conflit sans prétendre le réduire absolument », les systèmes « autocrates » proposent en même temps l’utopie solidaire de tous avec tous et l’illusion d’un « arrêt sur image » définitif éradiquant le malaise des aléas de l’existence.

A la mise en œuvre cependant, il apparaît que la performance socio-économique, même spectaculaire, recèle une lacune existentielle que l’actuelle mandature tente de combler en jouant sur la corde nationaliste.

En même temps, la chimère de mise aux normes et de l’éradication des incertitudes produit le système politique « orwellien » de surveillance tous azimuts, tandis qu’à l’inverse des questionnements à l’œuvre dans les démocraties, surgit la quête de libertés qui n’a pas de fin.

La rédaction.

Peine de mort.

Le 29 janvier, une semaine après que, s’exprimant à la Conférence annuelle de la Commission Centrale de discipline, Xi Jinping promettait d’accentuer sa campagne contre les corrompus du Parti dont, dit-il « l’attitude déloyale » et les agissements menaçaient la « gouvernance » de la Chine, Lai Xiaomin a été exécuté, à peine 24 jours après avoir été condamné à mort par la cour intermédiaire de Tianjin.

Convaincu d’avoir reçu l’équivalent de 215 millions d’€ de pots de vin qu’il avait entassés dans son appartement filmé par la télévision d’État dont le reportage a été projeté à l’audience, Lai avait avoué à son procès qu’il n’avait pas osé dépenser les sommes illégalement amassées.

Mis à mort après avoir été autorisé à rencontrer sa proche famille une dernière fois, il était le 3e dignitaire du parti exécuté au cours des mandats de Xi Jinping. En mai 2017, Zhao Liping, chef de la sécurité d’État de Mongolie intérieure à la retraite avait subi le même sort pour avoir assassiné sa maîtresse.

En 2018, Zhang Zhongsheng, ancien vice-maire de Lüliang, ville minière du Shanxi, avait été exécuté pour avoir accepté plus d’un milliard de Yuans de pots de vin (128 millions d’€).

Amnesty International le répète souvent, la Chine dont la justice aux ordres a un taux de relaxe inférieur à 2%, reste le pays de la planète qui prononce le plus de peines de morts « plusieurs milliers chaque année, autant que tous les autres pays réunis », dont la sentence considérée comme un secret d’État, est le plus souvent exécutée secrètement.

Alors que le 8 janvier dernier, le tribunal de Chengde avait condamné à la prison à vie Hu Huaibang, ancien président de la Banque de développement, trois autres hauts fonctionnaires du Parti condamnés à mort ont bénéficié d’un sursis en appel.

Note(s) :

[1La philosophie politique légiste également appelée « École des lois » est née (Jean Levi) des transformations brutales de la société entre le VIe et le IIe siècles avant notre ère.

Le courant qui n’a pas de « maître » au contraire du confucianisme ou du taoïsme, regroupe des penseurs de plusieurs époques, dont les plus connus sont Shang Yang (390 - 338 av. JC) et son contemporain Shen Buhai (395 - 337 av. JC) ou Han Fei, plus tardif (280 - 233 av. JC).

Le mouvement élabora au fil des siècles la théorie d’un pouvoir politique fort, appuyé sur des institutions étatiques centralisées et des lois férocement répressives. La philosophie qui prend le contrepied de la bénévolence humaniste confucéenne exprime aussi l’absence d’illusions à l’égard du genre humain et la nécessité des sanctions.

Bien qu’aucun des exégètes occidentaux de la pensé de Xi Jinping n’ait jusqu’à présent évoqué l’héritage légiste de la pensée du n°1 chinois, Xu Zhangrun, professeur de droit à Qinghua, un de ses principaux critiques, aujourd’hui destitué, y fait explicitement allusion dans une déclaration où il décrivait la pensée du Secrétaire Général comme un mélange de plusieurs influences.

« Nous avons une forme évolutive de tyrannie militaire sous-tendue par une idéologie “légaliste-fasciste-staliniste “. Celle-ci est bricolée à partir des souches chinoises traditionnelles de la pensée légiste et mariée à une interprétation léniniste-stalinienne du marxisme, à quoi s’ajoute une variante du fascisme “germano-aryen“ ».


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Par vanoost Le 15/02/2021 à 13h23

La gouvernance par les nombres

Le dernier livre d’Alain Supiot La gouvernance par les nombres donne bien les Légistes comme source de la politique chinoise actuelle. La lecture du chapitre concernant la Chine est particulièrement éclairant... et inquiétant.

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