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Pékin ce n’est pas de la tarte

Chapitre VIII

C’est au quatorzième plat, qu’on a vraiment senti que nous étions déjà un peu partis... Grodaeg venait d’ouvrir la cinquième bouteille de cognac. Le général avait remarqué que pour six, cela faisait plus d’une demi-bouteille chacun... Mais Grodaeg avait protesté en arguant du fait que les petites en tétaient des fonds de verre à chaque fois qu’elles venaient s’asseoir auprès de nous... Et puis, avait-il ajouté avec conviction « Ce n’est pas ce qu’on a bu ! Je suis sûr que le cuistot avait mis de l’alcool dans ses crevettes ! ». Je n’étais pas du tout d’accord car j’étais encore à peu près à jeun quand les crevettes étaient arrivées sur la table et j’étais sûr que ce n’était pas vrai. Les crevettes d’eau douce à la shanghaïenne, c’est un de mes pêchés mignons, alors vous pensez bien que j’y avais fait attention. D’autant plus que celles-là avaient été divines ; délicatement trempées dans leur vinaigre noir, elles fondaient dans la bouche...

Mais je pardonnai à Grodaeg son erreur car avec les deux mignonnes qui s’étaient assises sur ses genoux pour lui porter sa nourriture à la bouche, lui laissant ainsi les deux mains libres, n’importe qui aurait pu se tromper... Moi, je ne mélangeais pas les plaisirs de la gastronomie avec les autres, par principe... Mimille non plus d’ailleurs, mais lui c’était plutôt le contraire : il n’avait rien mangé de la soirée, trop occupé à trinquer avec toutes les petites qui passaient à sa portée et qui l’invitaient, par des ganbei euphoriques, à vider son verre alors qu’elles ne faisaient que tremper leurs lèvres dans le leur... A ce rythme, Mimille avait déjà son compte. Il venait de baver dans le décolleté d’une charmante jeune fille en essayant de deviner sa marque de soutien-gorge, et avait encore aggravé son cas, en essayant de réparer les dégâts...
Grodaeg, pour détendre l’atmosphère, venait d’entamer « l’artilleur de Metz », accompagné par Huang qui tapait sur son verre et par une dizaine de petites qui dansaient le french cancan en levant la jambe, en rythme, sur les paroles...

C’était vraiment une très belle fête... fine et légère...

Et c’est là, à ce moment précis, que j’eus l’illumination : le flash, l’éclair, la révélation !

Je tapai un grand coup sur la table. Mimille en profita pour glisser de sa chaise et pour s’écrouler sous la nappe.

- J’ai trouvé !

- Qu’est-ce qu’il dit ? demanda Grodaeg, l’œil globuleux.

- C’est sur le DVD, la vue du village !

Faudrey me regardait l’air inquiet :

- Mon brave homme, si vous nous expliquiez calmement de quoi il retourne, peut-être comprendrions-nous mieux votre excitation.

- Laissez-moi deux minutes pour que je recoupe mes hypothèses et je reviens vers vous ! Mais je suis sûr que c’est ça ! D’ailleurs, ça ne peu pas être autre chose ! Sinon, tout ça n’aurait aucun sens !

Il me fallut tout de même une bonne demi-heure et trois coups de téléphone avec la France, pour m’assurer que mon intuition était bonne, puis un aller-retour chez Piedritti pour m’assurer que j’avais bien raison.

L’excitation m’avait complètement dessaoulé et je revins triomphant vers mes compagnons d’infortune, dont l’état, durant mon absence, ne s’était guère amélioré :

- Je sais pourquoi Cucchini a brûlé les tableaux : il s’agissait de faux ! Et je sais où sont les vrais...

Weng et le général me regardaient sans comprendre.

- Keskidi ? demanda Grodaeg la bouche pâteuse.

- Quand j’ai regardé le DVD du Journal télévisé ce matin, le conservateur du musée Fabre de Montpellier parlait d’un tableau, assez célèbre, de Bazille, « La Vue du village », qui était parti pour l’exposition de Pékin. Pendant qu’il parlait, un petit carré représentant le tableau est venu se rajouter sur l’image. Je connais bien ce tableau et j’ai cru, bien sûr, que c’était lui qui me rappelait tout un tas de souvenirs, je ressentais quelque chose que j’ai pris pour de la nostalgie... Mais maintenant, je sais ce qui me chagrinait : ce n’était pas le tableau qui s‘affichait, mais celui qui se trouvait derrière le conservateur qui me chiffonnait ! C’était « Les Baigneuses » de Courbet ! Or ce tableau est dans le fichier des toiles qui sont censées avoir brûlé...

Je viens de joindre le musée de Montpellier : ils m’ont confirmé que le tableau devait partir, mais qu’au dernier moment, le conservateur a changé d’avis et en a envoyé un autre... Manque de pot ! C’était trop tard pour les copies que Cucchini et Piedritti avaient déjà dû commander à des faussaires. Le cinquantième tableau, celui qui n’était pas accroché et qui, selon Dupalet, attendait un coup de vernis sur son cadre, en fait, c’était un faux mais l’original n’avait jamais quitté la France !

Ça m’intriguait, quelque chose clochait ! Je me demandais pourquoi Piedritti avait tout ce matériel d’encadrement et pourquoi il conservait les chalcographies du Louvre chez lui. Maintenant je comprends. Il a reçu des copies, probablement de Russie - ce qui expliquerait les caisses en trop à l’arrivée -, et il a dû les accrocher à la place des vrais tableaux. Personne n’a eu accès à l’exposition, nous a confirmé Dupalet. Même si les copies n’étaient pas rigoureusement identiques, personne n’a pu s’en apercevoir. Piedritti a planqué les originaux sous les chalcographies... Je viens de les voir, je peux vous assurer qu’ils y sont bien... Weng, ne le prends pas mal, mais comme tu m’as parlé de complicités possibles, je me suis permis de téléphoner en ton nom à Daphné et à Lili pour qu’elles arrivent avec des renforts sûrs, parce que, si mon intuition est toujours bonne, je pense que Cucchini devrait avoir envie de récupérer ses toiles, chez Piedritti, au plus vite...


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