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›› Société

Plongée dans le secret de l’opinion publique chinoise

Contrastes et défis politiques.

Opinions sur le système politique.

Interrogés par de multiples questions indirectes permettant d’éviter l’autocensure, les citoyens chinois expriment une gamme d’opinions sur les droits individuels et les libertés politiques qui ne correspondent pas toujours aux politiques existantes ou au narratif du pouvoir.

Par exemple une nette majorité de réponses condamnent l’intrusion de l’État dans le choix du nombre d’enfants par les familles qu’il s’agisse de le réduire à un seul enfant ou au contraire, comme actuellement, de l’augmenter à trois.

De même, au moins 60% des sondés sont favorables, y compris au risque d’une instabilité politique, à plus de liberté d’expression sur les politiques gouvernementales qu’il s’agisse de les critiquer ou de les approuver. En même temps, une vaste majorité condamne clairement les restrictions de liberté de réunions et de manifestations.

L’observation étonne car elle contredit l’idée reçue que les Chinois - tant dans l’administration que dans le public – seraient hostiles aux conflits publics et à tout ce qui pourrait potentiellement créer le « chaos 乱 – luan - ».

Des recherches antérieures avaient en effet indiqué que le citoyen chinois moyen serait au contraire très peu enclin à prendre des risques et accorderait plus de valeur à la stabilité sociale qu’à la liberté politique. Une plus grande acceptation publique du risque de désordres pose potentiellement un défi au pouvoir.

Opinions sur l’économie et le marché.

Alors qu’entre 2019 et 2022, Xi Jinping a renforcé le contrôle autoritaire de l’économie, par des politiques industrielles volontaristes assez souvent doublées de la répression des débordements du secteur privé, essentiellement de la sphère numérique et de l’immobilier, les enquêtes montrent qu’une majorité de sondés sont prêts à tourner le dos à la planification étatique y compris au prix de la création de fortes inégalités.

L’exemple significatif de ces contradictions dans un pays prônant l’égalité sociale, est le système de santé où la plupart des hôpitaux sont la propriété de l’État qui les exploite. Quand une des nombreuses questions des enquêtes interroge s’il serait approprié que le secteur privé fournisse des services de santé de meilleure qualité à ceux qui sont prêts à payer des prix plus élevés, les réponses sont sans ambiguïté.

Une nette majorité des personnes interrogées est favorable à des services de santé privés, même si cela signifie que de meilleurs soins coûteraient plus cher.

L’image ainsi restituée touche à une des puissantes contradictions idéologiques du régime. S’il est exact qu’au cours des quarante dernières années plus de 700 millions de personnes ont été hissées hors de l’extrême pauvreté, il existe une importante proportion de la population vivant très chichement [1].

A ce sujet lire le § « L’écart de richesses, un dangereux angle mort du régime. » de notre article : Entre l’enthousiasme du rebond et l’angoisse d’une crise systémique, des perspectives 2023 en demi-teinte.

Alors que les inégalités se sont creusées les réponses à l’enquête signalent qu’au moins dans le domaine de la santé, l’idée de solidarité socialiste que le régime tente de promouvoir par son concept de « prospérité commune - 共同富裕 - » ne recueille pas l’adhésion espérée.

Il faut se rendre à l’évidence une part importante de la classe moyenne est prête à payer plus pour de meilleurs soins. Au moins dans ce domaine, elle s’opposera logiquement aux efforts visant à réduire la part privée des services.

A côté des attitudes des Chinois à l’égard de la santé, l’autre sujet encore plus sensible est le rapport des Chinois à la propriété foncière que l’idéologie communiste inscrit historiquement et sans esprit de recul dans une vision collectiviste dont le pouvoir assure qu’elle assure une meilleure équité et un « filet minimum de sécurité » aux ruraux.

Dans ce domaine l’enquête montre une opinion partagée dont les réponses croisent le rapport ambigu à l’étatisation de l’économie. Dans ce régime qui, dès l’origine et notamment pendant la guerre civile, a érigé la propriété foncière en symbole absolu des privilèges à abattre, y compris par la terreur, le plus significatif est que seule une faible majorité s’oppose à la proposition selon laquelle « les individus devraient être autorisés à posséder, acheter et vendre des terres ».

Plus largement, alors que l’adhésion à un système foncier collectiviste reste légèrement majoritaire, mais très loin d’être unanime, il existe une minorité importante et stable qui soutient l’expansion des libertés économiques et s’oppose à l’ingérence croissante de l’État dans l’économie.

De manière significative, l’opinion majoritaire s’oppose à la fois au soutien public des entreprises d’État et suggère de réduire les impôts des entreprises privées. En d’autres termes, les sondés veulent des règles du jeu équitables où la performance du marché plutôt que la propriété publique détermine le succès d’une entreprise.

Cependant, le soutien au libéralisme économique ne va pas aussi loin lorsqu’il s’agit de commerce international. Par exemple, une grande majorité des personnes interrogées sont favorables aux droits de douane sur les produits étrangers pour protéger les industries nationales.

Opinions sur l’armée et la politique étrangère.

De nombreuses observations attestent de la relation directe entre le nationalisme et la politique étrangère.

Au cours des années passées et notamment depuis le milieu des années 2000 (lire Relations Chine-Japon. Les non-dits de l’irrationnel et Chine - Japon : Une pente dangereuse), des manifestations anti-japonaises et antiaméricaines attestent du chevauchement entre le nationalisme et les postures de politique étrangère de Pékin.

A ce sujet les auteurs de l’enquête posent sans y répondre une question cruciale : « Le gouvernement orchestre-t-il les protestations à travers sa propagande chauvine, ou les ultra-nationalistes en Chine façonnent-ils la politique étrangère du pays ?  ».

La réponse apportée par les enquêtes de terrain effectuées en 2018 et 2020 dessine une image ambiguë. « S’il est exact que les sentiments patriotiques sont répandus, la majorité de l’opinion n’en soutiendrait par pour autant une déclaration de guerre.  »

Exemple : La plupart des personnes interrogées soutiennent la proposition selon laquelle le gouvernement devrait «  protéger autant que possible la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale par des moyens diplomatiques et économiques pour éviter les conflits militaires »

En contrepoint les réponses suggèrent que la majorité des Chinois ne voit pas la guerre comme le moyen le plus souhaitable pour protéger la souveraineté nationale et s’opposeraient aux politiques qui la provoqueraient ouvertement.

Concrètement, les réponses montrent un appui au maintien ou même à l’augmentation de la présence militaire chinoise en mer de Chine méridionale. En revanche le soutien a considérablement diminué lorsqu’il est apparu que l’élargissement de la trace militaire chinoise risquerait d’entraîner un conflit.

Ces considérations contradictoires renvoient à l’ambiguïté du nationalisme chinois. Alors que le pays n’a jamais été impliqué dans un conflit militaire direct depuis plus d’une génération [2], il est évident que le soutien à la guerre est faible.

En même temps le nationalisme est populaire. Les enquêtes montrent en effet que l’idée de réduire la présence militaire pour apaiser les tensions en mer de Chine du sud est très impopulaire.

De même, attestant également de la vigueur du sentiment nationaliste, la plupart des personnes interrogées soutiennent l’expulsion des journalistes étrangers qui publient régulièrement des reportages négatifs sur la Chine, tandis qu’une nette majorité est opposée à ce que les Chinois puissent bénéficier d’un statut de double nationalité.

Au bilan, les sentiments nationalistes restent protéiformes. Ils nourrissent la politique du gouvernement qui, en retour, les attise par ses affirmations de puissance qui flattent l’opinion. En même temps, les réponses indiquent que le soutien à une guerre destinée à défendre les réclamations de souveraineté de Pékin est loin d’être inconditionnel. L’incertitude trace les limites des menaces militaires.

Fluctuation des réponses en fonction des niveaux de revenus et d’éducation.

Dans des enquêtes menées entre 2012 et 2019, Pan et Xu ont constaté que les sujets ayant des revenus et des niveaux d’éducation plus élevés étaient plus susceptibles que les autres segments de la population d’avoir des opinions libérales, favorables au marché et moins nationalistes.

Opinions des étudiants universitaires

Analysant les opinions des étudiants dans les meilleures universités chinoises et celles des 370 000 étudiants chinois de 60 universités américaines entre 2019 et 2020, l’étude fait apparaître que les jeunes chinois éduqués aux États-Unis sont en moyenne plus libéraux politiquement, favorables au marché et moins nationalistes que ceux qui étudient dans les meilleures universités chinoises.

Le constat est resté stable même en 2020, en dépit de l’instabilité politique aux États-Unis et l’augmentation des idées, parfois des agressions racistes contre la communauté asiatique américaine, conséquences des perturbations dues à la pandémie.

*

La conclusion de l’étude affirme qu’elle met en évidence une opinion publique nuancée et complexe, moins vulnérable à la propagande d’État que la plupart le pensent aux États-Unis et en Occident. En un mot, selon les auteurs, Xi Jinping ferait face à de véritables défis de politique intérieure.

Il existerait en effet une « majorité libérale silencieuse » critique des orientations générales du régime, même quand il s’agit du choix vertueux de la prospérité commune, critiqué par une importante partie de la population, plus éduquée et plus riche, qui l’assimile à un retour au collectivisme et aux mises aux normes politiques dangereuses pour l’esprit d’entreprise et l’innovation.

Les idées admises en Occident estimaient que la classe moyenne était satisfaite des performances du parti, or il ressort des études que les choix politiques récents du régime affaiblissent ce soutien. De même, le nationalisme en Chine compris jusqu’à présent à la fois comme un moteur et un catalyseur du militarisme en Mer de Chine méridionale et contre Taïwan, doit être mis en perspective.

S’il est vrai que le patriotisme s’exprime souvent avec force, la réalité est aussi qu’une importante partie de la population étudiée est opposée à l’idée d’une guerre.

Ces contrastes entre, d’une part les nuances d’une opinion souvent réticente et le resserrement radical en politique intérieure accompagnant le discours agressif anti-occidental de la stratégie extérieure du régime, pourraient in fine et en dépit des apparences du récent discours de Xi Jinping à la réunion de l’ANP ayant chargé l’Amérique de l’entière responsabilité des tensions en cours, être à l’origine d’un ajustement de la stratégie de Pékin.

Note(s) :

[1L’un des indicateurs les plus significatifs de cette contradiction est la hausse spectaculaire du PIB par habitant. Alors qu’en 1960, il était de 90 $, en 2021 il était supérieur à 12 000 $. Pour autant selon le premier ministre chinois lui-même qui s’exprimait à la réunion annuelle de l’ANP de juin 2020 en visio-conférence, 600 millions de Chinois (40% de la population) vivaient avec un revenu moyen de 1000 yuans par mois soit 144 $.

[2La dernière expérience directe qui fut un cuisant échec remonte à 1979 quand Deng Xiaoping décida d’attaquer de flanc l’armée vietnamienne engagée contre les Khmers Rouges au Cambodge dans ce que Pékin considérait - considère toujours - comme son arrière-cour stratégique et idéologique, au point que le mouvement meurtrier des Khmers Rouges s’était, depuis la fin des années soixante, nourri de l’influence révolutionnaire maoïste.


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