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Regards sur l’inquiétude des aborigènes et le durcissement de la Chine

Kolas Yotaka. 50 ans. A gauche du temps de sa campagne électorale pour les élections locales de 2022 à Hualien, où elle fut battue par la représentante du KMT, Hsu Chen-wei, qui obtint dix-huit sièges quand elle-même ne réussit qu’à en obtenir trois. (Photo « 東台先鋒報 – Les Nouvelles pionnières de l’Est taiwanais »). A droite une de ses photos officielles, dans une réunion politique.

Membre de la minorité austronésienne Ami 阿美, également connue sous le nom « Pangcah » aux traditions matriarcales, Kolas recrutée pour promouvoir les groupes ethniques minoritaires indigénistes par Tsai Ing-wen, dont elle a été la porte-parole jusqu’en 2023, eut une carrière politique perturbée par des accusations de conduite en état d’ivresse et un scandale de relations inappropriées avec son garde du corp.


*

« Putin et Xi Jinping se ressemblent. Tous les deux croient qu’ils expriment l’ancienne puissance impériale de leur pays et qu’ils sont investis de la mission historique de le défendre contre les étrangers. C’est effrayant et cela n’a aucun sens. »

Celle qui parle ainsi s’appelle Kolas Yotaka. Elle est Taïwanaise et issue de la minorité austronésienne des AMIS 阿美

S’adressant à Will Ripley, 43 ans, spécialiste du théâtre Pacifique occidental et correspondant de CNN à Taipei, elle commentait l’interview de deux heures, accordée au Kremlin le 6 février par Vladimir Poutine au journaliste proche de Donald Trump, Tucker Carlson, récemment remercié par Fox News et coutumier des jugements sans nuances pro-russes sur l’Ukraine et sur la guerre déclenchée par le Kremlin.

Membre du Parti Démocrate Progressiste (DPP), ancienne députée représentant les aborigènes (2016-2018), et porte-parole du Yuan Législatif, du gouvernement et de la Présidence (2018-2023), Kolas Yotaka, issue de l’ethnie Amis, plus grand sous-groupe aborigène reconnu par la République de Chine, génétiquement relié aux Philippins, dont le nom [1] porte la trace de l’occupation japonaise (1895-1945), est un des symboles politiques valorisés par Tsai Ying-wen pour affirmer l’identité particulière de l’Île par rapport au Continent et faire contrepoids aux Han, majoritaires [2].

En exprimant ses craintes, Kolas constatait que le discours de V. Poutine justifiant la brutale et meurtrière invasion de l’Ukraine par des rancœurs historiques et le nationalisme russe recoupe celui du Président Xi Jinping. « Quiconque se soucie de la démocratie et des droits de l’homme devrait y prêter attention » dit-elle.

Même si la plupart des experts de la Chine estiment que les risques liés à une agression directe de Taiwan sont tels qu’à Pékin l’appareil y renoncera, il n’en reste pas moins que les craintes de Kolas recoupent celles du Secrétaire Général de l’OTAN Jens Stoltenberg, exprimées lors de la récente conférence de Munich du 16 au 18 février derniers.

« Poutine », dit Jens Stoltenberg, « a conclu un accord sans aucune limite avec le président Xi. Et nous constatons que la Chine et la Russie se rapprochent de plus en plus. (…) Si le président Poutine gagnait en Ukraine, le défi ne serait pas seulement Ukrainien. Une victoire russe enverrait un message non seulement à Poutine, mais aussi à Xi Jinping : en usant de la force militaire, on obtient ce qu’on veut » (…). Il concluait par une anticipation pessimiste alignée sur le Pentagone « Ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine pourrait se produire demain à Taiwan. »

En tous cas, la réaction de la Chine après l’agression ne fut pas rassurante. Non seulement elle n’a pas condamné l’invasion russe qui, pourtant, transgresse le principe cardinal de l’intégrité territoriale d’un État souverain, cher à la Chine, mais de surcroît, Xi Jinping a resserré ses liens avec V. Poutine au point de devenir un des chemins détournés d’évasion des sanctions contre la Russie.

L’ombre insistante de la menace chinoise.

En réalité, les craintes de Kolas d’un embrasement militaire dans le Détroit reflètent précisément les reproches que la plus jeune génération adresse aux responsables politiques KMT et DDP de n’analyser la politique l’Île et son futur qu’au travers des perspectives de conflit avec le Continent.

Les uns, au KMT, rassurent leurs électeurs en affirmant que les déclarations appartenance de principe à la Chine sont un facteur d’apaisement et désarme les va-t’en guerre chinois ; les autres du DPP portent haut le flambeau de l’identité séparée de l’Ile attachée à la démocratie, au risque d’enflammer la situation face à Pékin pour qui la « rupture » est une « Ligne rouge  » non négociable.

Le récent surgissement dans le paysage politique de l’Île de la troisième force de Ko Wen-je qui tente d’extraire le jeu politique de ces tensions binaires contraires, est le symptôme du malaise politique de l’Île.

Il n’empêche que la constante référence à l’usage de la force exprimée par des démonstrations ostentatoires, en même temps que la répétition du caractère inéluctable de la réunification avec les Taïwanais que plus de 92% rejettent, entretiennent la mèche d’une possible explosion et l’inconfort des Taïwanais.

L’ancien président Ma Ying-jeou pourtant adepte du concept d’une seule chine, l’avait souligné lors d’une longue interview avec Deutsche Welle en décembre 2023. Tant que Pékin ne renoncera pas à ses menaces militaires, la réunification dont la réalisation ne pourrait être menée à bien que par la négociation dans le respect des principes démocratiques, restera un projet répulsif pour les Taïwanais.

Avec le DPP au pouvoir, les positions sont encore plus irréconciliables.

Au discours de Wang Yi 王毅 à Munich qui rappelait l’appartenance de Taiwan à la Chine et, non sans mauvaise foi, s’étonnait que l’Occident n’accorde pas le même parti-pris souverain à Pékin qui protège son intégrité territoriale dans le Détroit qu’à l’Ukraine qui se défend contre l’agression russe, la Commission des affaires continentales à Taipei, utilisant l’appellation officielle de Taiwan, a répondu que « La République de Chine » est une « Nation souveraine qui n’a jamais fait partie et ne fera jamais partie de la République Populaire de Chine. » [3].

A l’étage supérieur, toujours à Munich, la rencontre entre Antony Blinken et Wang Yi qui, une fois de plus, exprimait l’insoluble impasse de la question taiwanaise, ne fut qu’une redite du discours chinois où se mêlent inquiétudes et menaces.

Défiance anti-occidentale et recomposition des relations internationales.

Sous la pression des sanctions américaines et des embargos sur les hautes technologies de l’informatique, dont Pékin réclame la levée, Wang Yi a mis en garde contre les effets sur l’Occident des ripostes chinoises à la stratégie occidentale de réduction des risques portés par la relation avec la Chine dite « Derisking - », imaginée par Ursula Von Der Layen en mars 2023 et aussitôt reprise par Washington.

Alors que partout, en contraste avec l’esprit de mondialisation ouverte, l’heure est désormais à la défiance et la priorité à la sécurité des chaînes d’approvisionnement, la Chine s’organise pour fermer son marché, sauf dans les secteurs où elle recherche des technologies de pointe qui lui font défaut (lire : Modernisation de l’industrie lourde, « Chine 2025 » et transferts de technologies), et accélère ses investissements de hautes technologies notamment dans le secteur des semi-conducteurs pour concurrencer la prévalence taïwanaise.

Réagissant à l’ostracisme européen et américain, Pékin dont les nouvelles routes de la soie, initialement orientées vers l’Europe se sont également déployées vers l’Afrique, l’Asie du Sud-est et l’Amérique Latine, recompose l’éventail de ses relations internationales vers la Russie, le Moyen Orient, l’Indo-pacifique et l’Asie Centrale, privilégiant les groupes d’où les États-Unis sont absents comme les BRICS et l’Organisation de Coopération de Shanghai, dont le nombre de membres a considérablement augmenté.

Pékin a également entamé la phase de rétorsions notamment en fermant son marché aux microprocesseurs du groupe Micron (lire : Guerre froide sino-américaine. Pékin riposte aux embargos de Washington en interdisant le géant MICRON) et en réprimant en Chine les sociétés d’intelligence économique étrangères.

Enfin, ripostant aux sanctions, la Chine a menacé de freiner, par des obligations de licence, l’exportation des métaux rares comme le gallium, utilisé dans l’imagerie médicale, le germanium, semi-conducteur essentiel dans les cellules photovoltaïques et en optique, et le graphite, composant incontournable des batteries au lithium.

Note(s) :

[1Le nom Kolas Yotaka renvoie au patronyme de son grand-père qui, durant l’occupation japonaise (1895-1945), s’appelait Yoshinara Yutaka. À la fin de l’ère japonaise en 1945, la première syllabe de son nom YO avait été convertie à la chinoise en un patronyme monosyllabique « YE 葉 » par le pouvoir du KMT qui cherchait à « siniser » les minorités. Avec cet héritage, Kolas a fait ses études de sociologie à Taichung sous le nom de Ye Guan-lin 葉冠伶.

Quand, en 2005, sous la présidence DPP de Chen Shui-bian, le pouvoir abrogea la loi sur les noms de famille, Ye reprit son nom d’origine, utilisant la forme romanisée Kolas Yotaka dont, selon les usages de la minorité Amis, seul le prénom Kolas se transmet d’une génération à l’autre.

Le 28 juin 2023, alors qu’elle était porte-parole de la présidence, elle avait démissionné de son poste à la suite de rumeurs l’accusant d’avoir eu une liaison avec son garde du corps de la présidence. « L’affaire » aurait eu lieu alors qu’elle postulait pour représenter Hualien aux élections locales de 2022.

A Hualien, sa défaite face à Hsu Chen-wei, épouse du député KMT Fu Kun-chi, pourtant lui-même condamné pour fabrication de faux documents (lire : Le DPP secoué par les élections locales. Retour des Chiang. La nébuleuse des « Indépendants », troisième force potentielle) était un des signes prémonitoires du recul du DPP, confirmé aux législatives de 2024 (lire : Présidentielles. Victoire de Lai Qing De ; net recul législatif du Min Jin Dang. Souple et pragmatique, Ko Wen-je renforce sa position d’arbitre).

[2La question des origines ethniques des Taiwanais est d’autant plus complexe que les chercheurs sont parfois accusés d’avoir des arrière-pensées politiques. Certes l’apport des groupes ethniques Hokkien et Hakka venant du Fujian et de la région de Canton, importés par les Hollandais (1624-1662) est attestée. En revanche, d’autres hypothèses ne font pas l’unanimité.

Celles de l’hématologue taïwanaise Marie Lin 林媽利 par exemple. Utilisant la technologie moléculaire d’analyse de l’ADN humain et les marqueurs génétiques, elle parvient à la conclusion que la plupart des Taïwanais descendants des aborigènes ont des caractéristiques sanguines mixtes distinctes des caractéristiques génétiques des deux principaux groupes ethniques de Chine du nord et du sud.

« Grâce à la longue histoire de l’évolution ethnoculturelle de Taiwan, qui a été isolée des autres principaux centres de population, nous pouvons considérer que le résultat est la formation d’un groupe de personnes taïwanaises distinct du peuple chinois Han ».

D’autres études avancent même que les populations originaires du sud de la Chine avaient déjà des gènes mêlés de caractéristiques austronésiennes d’Asie du Sud-est. Dans la même veine enfin, certains s’efforcent de démontrer les origines anthropologiques inter-détroit communes.

Ils affirment, analyse des ADN à l’appui, qu’au moins 4 des principaux groupes ethniques taiwanais (Amei, Yatai, Bunong, Paiwan et Li) auraient la même origine génétique liée au groupe ethnique Baiyue 百越 ayant peuplé le sud-est de la Chine et le nord-Vietnam entre le premier millénaire av. JC et le premier Empire [Thèse de doctorat de Chen Shu-Juo (2009) à Stanford. «  How Han are Taiwanese Han ? Genetic inference of Plains Indigenous ancestry among Taiwanese Han and its implications for Taiwan identity.  »].

Pour lui, la croyance que la majorité des Taïwanais aurait des origines aborigènes relève d’un mythe politique.

[3Objectivement, l’affirmation qui se réfère à l’histoire du XXe siècle après 1911 est exacte. La RPC et la RDC ont, depuis 1949, une histoire conflictuelle et séparée. Mais elle passe sous silence qu’après les influences hollandaise et espagnole (1626-1662), l’Île a été conquise en 1684 par les Qing et, qu’après avoir été intégrée au Fujian, est devenue une province à part entière de l’Empire en 1885.

Au passage, le discours de rupture historique du DDP qui évacue l’histoire, se prive aussi de rappeler qu’entre 1721 et 1787, l’Île devenue « rebelle » a été plusieurs fois secouée par des révoltes contre les Qing.


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