›› Politique intérieure
La leçon académique du président de Harvard.
Est-ce une coïncidence, au milieu de cette mise au pas normative frappant notamment la recherche académique sommée de « penser juste » et de limiter ses échanges avec l’Occident, eut lieu à Pékin une incidence contrastée dont la dissonance politique avec la fermeture académique du régime ne manquera pas de susciter l’agacement du pouvoir en même temps que des débats politiques internes dans la sphère des intellectuels chinois.
Le 20 mars, quelques jours avant la destitution du professeur Xu Zhangrun, Larry Bacow, Président de l’Université de Harvard prononçait à l’Université de Pékin (北大), juste avant d’être reçu par Xi Jinping, un long discours sur la fraternité académique des chercheurs et l’intérêt pour les meilleures universités de la planète d’échanger des idées et d’accepter d’écouter les opinions contraires.
« Prendre le contrepied de la sagesse conventionnelle et accepter d’accueillir des opinions contraires au risquer de se tromper, demande beaucoup de courage et de détermination » (…) « Les grandes universités développent ces qualités. Ce sont des lieux où les individus sont encouragés à écouter et à parler, où la valeur d’une idée est discutée et débattue - et non supprimée ou réduite au silence. (…) ».
Puis, comme pour désarmer par avance la théorie des « spécificités culturelles », il a ajouté : « Certes, Harvard est une université américaine et Beida est une université chinoise. Nos institutions ont la responsabilité de contribuer de manière positive à nos propres sociétés et à l’intérêt national, ainsi qu’au monde en général. Mais en tant qu’universités, nous remplissons cette tâche précisément en incarnant et en défendant des valeurs académiques qui transcendent les frontières de tout pays. »
Et encore : « Si voulons êtres les apôtres de la vérité, nous devons apprécier la diversité dans toutes ses dimensions possibles, inviter dans nos communautés les personnes qui défient notre pensée et les écouter. Surtout, nous devons accepter la tâche difficile d’être rapide à comprendre et lent à juger. »
Voir le texte complet du discours du Président Bacow
Enfin, dans sa conclusion, allusion directe à la situation au Xinjiang où l’action publique chinoise est l’objet de fortes critiques occidentales, Bacow a versé une sérieuse dose d’irritant sur la plaie déjà à vif de la relation entre la Chine et l’Occident.
Ses dernières paroles avant les politesses d’usage de fin de séminaire, citèrent en effet le célèbre poète Ouïghour Abdurehim, décédé en 1995 à Urumqi auteur de « La Trace » et de « Les terres qui s’éveillent » (1988 et 1994) célébrant l’héroïsme des révoltés Ouïghour contre l’oppression chinoise. Lire : Le roman historique, véhicule du nationalisme ouïgour
« Au cours de ma vie, j’ai toujours cherché la vérité ; dans la recherche de la vérité, c’est ma pensée qui, sans cesse, fut mon guide. Sans fin, mon cœur aspirait à s’exprimer, cherchant à trouver des mots à la fois de sens et de grâce. Venez, mes amis, que notre dialogue commence dans la joie. »
Nul doute que si ce discours parvenait jusqu’à lui au fond de sa prison – ce qui reste du domaine de l’improbable -, il mettrait du baume au cœur du professeur Ilham Tohti, condamné le 23 septembre 2014 à la prison à vie pour avoir uniquement commis comme le professeur Xu, la faute de critiquer non pas la prévalence politique du parti unique, mais seulement ses méthodes.
Lire : Condamnation à la prison à vie d’un intellectuel ouïghour.