›› Editorial
A l’orée de la nouvelle année du zodiaque chinois commencée le 1er février, celle du « Tigre d’eau », « le plus sage », disent les astrologues chinois, « porteur d’harmonie, d’énergie, de renouveau et de créativité », il n’est pas exagéré de dire que l’année du « Buffle » qui vient de s’achever a porté des changements économiques, sociaux et politiques qui furent les plus significatifs depuis le début des années quatre-vingt dix.
A l’époque, la Chine, encore sous l’égide de Deng Xiaoping, avait commencé à se frotter au monde, sur le mode d’une « montée en puissance pacifique 和平崛起 », qui tranche avec son actuel style offensif et batailleur.
En même temps, alors qu’elle visait déjà son entrée dans l’OMC en 2001, elle commençait à récolter les fruits de son ouverture économique, source d’un formidable et incessant élan commercial global, d’un foisonnement de créations d’entreprises et de l’émergence d’une classe moyenne de plus en plus importante plutôt satisfaite de son sort, devenue la base politique du pouvoir.
L’éveil, symbolisé par de très rapides progrès dans les domaines de l’aménagement du territoire, de l’innovation scientifique et une spectaculaire aventure spatiale, a cependant été accompagné par l’accroissement des inégalités et la persistance de faibles revenus dans près de 40% de la population.
Surtout, l’étroite imbrication entre les affaires et la politique, principale et immuable caractéristique du système de production chinois, a généré une importante corruption endémique. Cibles d’une des principales actions intérieures de Xi Jinping, elle est aussi devenue le prétexte de purges politiques répétées.
« L’ère nouvelle » prônée par l’actuel n°1 projetant symboliquement son œuvre jusqu’au centenaire de l’avènement du Parti en 2049, est, depuis le 19e Congrès, à la fois fortement teintée d’un projet de rupture avec les « valeurs occidentales » dont le Parti perçoit l’influence comme une menace pour son magistère et d’une pensée marxiste d’idéal égalitaire, articulée au slogan politique de la « prospérité commune - 共同富裕 - ».
Diffusant l’idée vertueuse de progrès matériels par une marche solidaire vers plus d’égalité et plus de justice sociale, elle est prônée en même temps que l’ancienne idée, datant du « Livre des Odes 诗经 » [1], d’une société de modeste prospérité 小康社会 dont les vertus essentielles étaient la mesure et l’harmonie, d’abord évoquée par Deng Xiaoping, puis remise à l’honneur par Hu Jintao, n°1 du Parti de 2002 à 2012, et s’affiche à l’opposé des ostentations capitalistes de la Chine moderne.
« Le moment Xi Jinping. »
Il est probable qu’à l’avenir, le « moment Xi Jinping » portant l’image d’une « Chine rouge vif », selon le titre du livre d’Alice Eckman (Ed. de l’Observatoire 2020), défiant les valeurs occidentales où le Parti s’est puissamment infiltré dans toutes les strates politiques et économies de la société, sera vu par les historiens comme une bascule aussi importante dans la trajectoire de développement de la Chine que l’avait été l’ouverture économique déclenchée par « le voyage dans le sud » de Deng Xiaoping en 1992 connu en Chine sous le nom de « 邓 小平的 南巡 – nan xun - ».
Commencée le 18 janvier 1992, la tournée dans le sud (Wuhan, Changsha, Shenzhen, Zhuhai, Canton), avait donné au « petit timonier » l’occasion d’énoncer quelques uns de ses slogans restés dans toutes les mémoires [2].
Marqués du sceau d’un puissant pragmatisme, elles ont formé l’armature idéologique du parti pendant vingt ans – jusqu’en 2012 -, et projeté de manière spectaculaire la Chine en avant, libérant l’esprit d’entreprise et les tendances aux effervescences capitalistes débridées.
En même temps, l’appel à l’enrichissement a, jusqu’aux strates élevées de l’appareil d’État, y compris dans l’armée, donné naissance à un inextricable faisceau de vénalités connectées par le guanxi 关系.
Dangereuses pour l’appareil, elles sont au cœur des préoccupations de Xi Jinping qui tente de les éradiquer. Sur les corruptions internes au Parti, lire la saga révélée par le couple d’intermédiaires Desmond Shum et son épouse Whitney Duan : « The Red roulette », une plongée intime et familiale dans le sulfureux mélange des affaires et de la politique.
Avant de tenter une prédiction forcément acrobatique de ce que sera l’année du Tigre, objet d’une autre analyse, il faut faire le bilan du « Buffle ». L’inventaire qui suit ne s’appesantit pas sur les remarquables avancées technologiques allant du posé, le 15 mai dernier sur la planète Mars du rover Zhurong 祝融 du nom d’un des « Dieux du feu » de la mythologie, à l’achèvement de la station spatiale Tian Gong, visitée en juin par trois spationautes.
Elle n’évoque pas non plus l’effervescence du marché des véhicules électriques chinois dont le modèle MG ZS EV a fait, à l’autome 2021, irruption dans le « top 10 » des ventes en France des voitures entièrement électriques au prix imbattable inférieur à 30 000 €, ni les progrès du drone armé chinois FH-97, réplique exacte – mais des dizaines de fois moins chère - du drone de combat furtif américain « Valkyrie ». La note aborde surtout les évolutions majeures de la politique intérieure et des relations extérieures.
Note(s) :
[1] Anthologie de la poésie chinoise classique rassemblant des poèmes à quatre caractères d’une longue période allant du XIe au Ve siècle avant J.C. Son origine n’est pas connue.
[2] Exemples : « Peu importe qu’un chat soit blanc ou noir 不管黑猫白猫, s’il attrape la souris, c’est un bon chat 捉到老鼠就是好猫 » ; ou encore, moins connu, mais tout aussi imagé, « Soyez plus audacieux dans les réformes et l’ouverture 改革开放胆子要大一些 ; osez des expériences 敢于试验, n’agissez pas comme des femmes aux pieds bandés 不能像小脚女人一样) » ; et enfin, « plus d’actions concrètes 多干实事 moins de vains discours 少说空话. »