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›› Editorial

Le « Chien de terre » et l’héritage ambigu du Coq. La Chine entre le Droit et l’affirmation culturelle globale

L’année du Chien a succédé à l’année du Coq le 16 février. Articulée, entre autres, autour de la rivalité avec Washington, les incertitudes stratégiques de l’année du Coq continueront à peser sur la situation globale, marquée par la volonté de Pékin d’imposer une prévalence culturelle globale.


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Arrivée à son terme dans la nuit du 15 février, l’année du Coq fut marquée par un puissant resserrement politique interne autour du « rêve chinois - 中国梦 - » et de la personnalité du Président Xi Jinping, tandis que l’international, traversé par des tensions, surprises et retournements, en partie dues aux embardées verbales de la « nouvelle Maison Blanche », resta d’abord marqué par l’ambiguïté des relations sino-américaines.

Sur fond de « l’émergence multipolaire » d’une opposition à l’Amérique et d’une connivence entre Moscou et Pékin qui dure, confortée par la force des contrats d’hydrocarbures et la proximité stratégique née du rejet des intrusions et pressions occidentales, Washington et Pékin envoyèrent des signaux contradictoires sur la nature et l’avenir de leur « pas de deux » global.

Empressons nous de dire que le jeu sino-américain n’est pas la seule et probablement pas la plus pertinente clé du futur d’une planète aujourd’hui secouée par les prémisses des crises à long terme que sont le trop plein démographique, les risques écologiques, la force des migrations, les déséquilibres nord-sud, les nouvelles violences climatiques et les tensions sur les ressources à quoi s’ajoute l’angoissante inconnue portée par les outrances meurtrières de l’Islam radical.

Pour autant, s’il est vrai que l’axe du monde n’est certes pas articulé à leur « duopole », les « rivalités réactives » de Washington et de Pékin s’exprimant sur maints sujets allant de la question coréenne aux différends commerciaux en passant par les tensions latentes en Mer de Chine du sud et dans le détroit de Taïwan, fondent une des clés de décryptage de la situation stratégique mondiale à moyen terme.

Dans ce registre se croisent les angoisses des toutes les élites américaines confondues, inquiètes de l’effritement du magistère de Washington, le discours convenu de Pékin spéculant sur la force apaisante du libre commerce, alors même que surgissent de fortes réticences contre la mondialisation.

Dans le même temps montent en puissance le budget et les capacités de projection de l’Armée Populaire de Libération durablement installée à Djibouti comme en mer de Chine du sud, et, pour la première fois de son histoire, engagée en mission de maintien de la paix au Soudan, non pas dans la gamme sanitaire ou logistique, mais avec des unités de combat. Lire : Mort au combat de deux casques bleus chinois.

Rivalité stratégique entre Washington et Pékin.

L’Amiral Harris à gauche, commandant en chef du Pacifique, futur ambassadeur en Australie, a récemment mis en garde contre les ambitions stratégiques chinoises. Photographié lors d’une visite officielle à Pékin en novembre 2015, il est ici en compagnie de l’ancien chef de l’état-major général à la CMC , le général Fang Fenghui, tombé pour corruption en 2017.


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Pour baliser la relation sino-américaine à ses extrêmes, on dira qu’elle balance entre deux antipodes, l’un diplomatique fondant l’espérance d’une coopération apaisée et l’autre martial qui nourrit les craintes.

Aux premiers confins des ambivalences, les bonnes paroles et les obligeances réciproques du sommet de Floride en avril, suivi, sept mois plus tard, de celui de Pékin où le couple présidentiel chinois fit à Donald Trump et à son épouse l’exceptionnel honneur de les accompagner longuement dans le site emblématique du pouvoir central chinois qu’est la Cité interdite.

A l’opposé du spectre, la récente déposition au Congrès des États-Unis de l’Amiral Harris, dont les racines familiales directes sont à la fois japonaises par sa mère et américaines par son père lui aussi marin de l’US Navy.

S’adressant aux législateurs américains, l’ancien patron du commandement naval du Pacifique, choisi par Donald Trump pour être son futur ambassadeur en Australie, a, sans s’embarrasser de nuances diplomatiques, sonné une alerte faisant écho aux inquiétudes de l’establishment, tourmenté par le spectre du déclin et la perspective que s’étiole son magistère global.

Pour lui, qui, au moment de sa déposition, était pourtant encore à la tête d’une des plus formidables forces aéronavales de tous les temps, les stratégies chinoises mêlant l’expansion militariste doublée de pratiques économiques et commerciales « prédatrices », assorties de pressions contre ses voisins, constituaient une sérieuse menace.

Baignant partout dans la promotion lénifiante des « caractéristiques chinoises », spéculant en même temps sur la prévalence de la culture sur le droit et sur la force apaisante des échanges commerciaux « gagnant – gagnant », la manœuvre globale de Pékin avait, selon Harris le potentiel d’affaiblir l’ordre international fondé sur le droit, aux dépens des États-Unis et de leurs alliés.

Sans aller jusqu’à dire, comme certains, qu’un conflit avec la Chine était inévitable et exprimant l’espoir qu’il sera évité, Harris a exhorté les États-Unis à s’y préparer militairement et à ne pas devenir un « tigre de papier ».

Cette défiance exprimée par un des plus hauts gradés américains aux racines en partie japonaises rencontre les raidissements de l’exécutif de Canberra où la classe politique a, l’année dernière, été ébranlée par le scandale du sénateur travailliste Sam Dastyari contraint à la démission pour avoir accepté des sommes en liquide d’un homme d’affaires chinois.

Défiances australiennes et européennes.

En juin 2017, les aigreurs sino-européennes, homothétiques de celles avec les États-Unis ont percé la surface des bonnes paroles diplomatiques du sommet Chine – Europe à Bruxelles. En représailles des blocages européens tardant à conclure un accord sur les investissements, Li Keqiang, le premier ministre chinois refusa d’endosser une déclaration conjointe sur le climat. A cette occasion, il n’a pas évoqué l’accord de Paris ni commenté la décision de la Maison Blanche de s’en retirer. Dans une plusieurs analyses publiées en 2017, François Godement a mis en garde contre les risques que, sous la pression des affaires chinoises, l’UE perde ses valeurs centrales.


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Les nervosités antichinoises spéculant sur les risques politiques et culturels portés par la vaste manœuvre d’enveloppement des routes de la soie sont non seulement perceptibles en Australie et aux États-Unis, mais également en Europe où elles ont récemment été exprimées dans un document signé de François Godement et d’Abigaël Vasselier - « China at the gate. A New Power Audit of EU-China Relations » publié en décembre 2017 par le Council on Foreign Relations - expliquant que « Comme les pays africains, les Européens, notamment à l’est et au sud, sont tombés dans un piège qui profite essentiellement à la Chine ».

En arrière plan surgit la lancinante crainte que les élans commerciaux chinois finissent, au nom de l’efficacité, par corrompre les systèmes politiques européens articulés à la séparation des pouvoir et à l’indépendance de la justice.

Après ce survol contrasté de l’année du Coq également marquée par de nombreuses autres péripéties [1] dont une des plus importantes fut la tentative de Pékin de reprendre la main dans le dossier nord coréen par sa proposition de mars 2017 du double moratoire (arrêt des manœuvres de l’alliance et des tests balistiques et nucléaires nord-coréens) rejeté par Pyongyang, mais accepté par Washington et Séoul à la faveur des JO de Pyeongchang, Question Chine a choisi d’articuler le bilan international de l’année écoulée autour de la montée en puissance de l’emblématique projet, devenu l’étendard de la politique extérieure de la Chine, sous le vocable一经济带 一 丝绸路 Yi jingjidai yi sichoulu -, raccourci par Yi Dai Yi Lu (une ceinture économique, une route de la soie) traduite en Anglais par One Belt One Road – OBOR- ou encore Belt and Road Initiative – BRI -.

A l’intérieur, où dominèrent les efforts du régime pour restructurer l’économie, contrôler l’évasion de capitaux, freiner sans y parvenir les investissements de relance générateurs de dettes, promouvoir la puissance des grands groupes à l’international, tout en combattant férocement la corruption - objet du 3e point particulier de cette note – le tout au milieu d’une vive offensive de la censure et des répressions politiques contre les dissidents, l’événement majeur de l’année fut, sans nul doute, le 19e Congrès.

Note(s) :

[1Citons, parmi les plus importantes, le soutien stratégique sans faille de Pékin à la fois à Aung San Suu Kyi et aux militaires birmans, l’offensive chinoise commerciale et politique en Europe de l’Est, les pressions de Washington reprochant à Pékin d’édulcorer les sanctions contre Pyongyang, à quoi s’ajoutèrent les flottements stratégiques en Asie du Sud-est, à Taïwan et au Japon qui, inquiets des incartades de D. Trump, exprimèrent une méfiance à l’égard de Washington et une tendance à se recentrer sur leurs intérêts directs ayant récemment poussé Shinzo Abe à tenter un rapprochement avec Pékin – le premier depuis 2008 -.


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