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›› Editorial

Les grandes inquiétudes de l’année du Lapin

Alors que les statistiques officielles révèlent la plus mauvaise performance économique depuis 46 ans [1] et que les informations sur le recul démographique portent un coup à l’optimisme de l’avenir, la migration massive des Chinois pour les fêtes de la nouvelle année du Lapin 兔 commencée le 22 janvier, est en cours.

Les congés officiels ont pris fin le 27 janvier, mais les mouvements des citadins vers leurs familles et ceux des migrants vers l’intérieur et leurs retours sur les chantiers du centre et de l’est dureront jusqu’au 16 février 2023.

Cette année, pourtant, l’effervescence des retrouvailles familiales qui n’a pas faibli est observée depuis ZhongNanHai au travers d’un brouillard d’incertitudes. La première est sanitaire. En dépit des conseils officiels à réduire les déplacements pour tenir à distance les risques pandémiques, le nombre de voyages en amont des fêtes était très au-dessus des chiffres de 2021 et 2022. Même ceux de 2019, avant l’épidémie ont été dépassés [2].

Le souci de minimiser l’impact rémanent de l’épidémie après presque trois années de fermetures sporadiques dont le pic avait touché 300 millions de Chinois en octobre 2022, a même conduit le pouvoir à faire pression sur les médecins publics ou privés, pour qu’ils n’attribuent pas les décès à l’épidémie.
Selon Reuters, dont les correspondants ont interrogé les voyageurs, la stratégie a fonctionné. La plupart, qui disaient ne plus avoir peur des infections, ne cachaient pas leur extrême joie des retrouvailles après la longue séparation.

Pourtant la menace était toujours là. Entre le 13 et le 19 janvier, contrastant fortement avec les informations antérieures, les responsables chinois de la santé ont fait état de 13 000 nouveaux décès. Les informations ont conforté la vigilance des voisins comme le Japon, la Corée du sud, Hong Kong, Taïwan et la Thaïlande qui installent des contrôles ciblant spécifiquement les voyageurs chinois.

Les mêmes contrôles ont été instaurés aux États-Unis, en Inde, au Canada, au Maroc, au Qatar et dans dix pays de l’UE (Chypre, France, Allemagne, Grèce, Italie, Lituanie, Pays-Bas, Portugal, Espagne et Suède).

Alors qu’à la fin janvier, Pékin rendait compte d’une décrue des décès, la deuxième inconnue est économique. Quand la plupart des experts prédisent un rebond progressif de l’économie à partir de mars, certains analystes dont la plupart appartiennent à des fonds d’investissement, tablent sur l’hypothèse que, le pic épidémique étant passé, la consommation de la période de fête relancera la machine économique.

Rien n’est moins sûr. Il faudra attendre le recul de bilans plus détaillés. Mais d’ores et déjà l’affluence est là, incitant Bloomberg à corriger à la hausse ses prédictions de croissance pour 2023 à +5,8% au lieu de 5,1%.

D’autres comme la Compagnie Française d’Assurance pour le Commerce Extérieur (COFACE) met en garde contre les « vents contraires » dont la faible confiance des consommateurs, un marché de l’emploi tendu et le recul (relatif) de chiffres de l’export.

En dépit des performances exceptionnelles du commerce extérieur en 2022, ayant généré 876 Mds de $ d’excédents, en hausse de 31% par rapport à 2021, et de l’afflux des IDE (en 2021 ils étaient de 181 Mds de $) une inconnue économique reste l’influence sur la Chine de l’état du monde, de sa rivalité systémique avec l’Occident et des sanctions américaines.

Le paysage global décrit sous des couleurs apocalyptiques par l’économiste « Cassandre » Nouriel Roubini surnommé « Dr Doom – catastrophe » pour avoir anticipé la crise mondiale de 2008, dans une analyse intitulée « Le temps des méga menaces », est inquiétant. Il pourrait faire dérailler la reprise chinoise.

La troisième inconnue est géopolitique. La Chine, alliée de circonstance avec la Russie autour de vastes contrats de gaz, mal à l’aise de cette proximité depuis la guerre en Ukraine, mais toujours solide client de Gazprom dont plusieurs projets de gazoducs [3] augmenteront les livraisons vers le Heilongjiang, est aux prises avec de sérieuses controverses avec l’UE et les États-Unis.

En mai 2021, à la suite de sanctions européennes et de contre-sanctions chinoises y compris contre des membres du parlement européen sur la question du Xinjiang, Bruxelles a suspendu le processus de ratification de l’accord sur les investissements conclu en catastrophe sous l’égide d’Angela Merkel le 30 décembre 2020, tandis que nombre de pays émergents se sont refusés à condamner Pékin sur la question des Ouïghour (lire La Chine, l’Occident et les Ouïghour et Controverses globales autour du traitement des Ouïghour. Pékin rallie un soutien hétéroclite et brouille la solidarité des musulmans).

Avec les États-Unis, de plus en plus engagés sur la question de Taïwan pour dissuader Pékin de réunifier l’Île par la force, la relation a été haussée par Washington et Taipei au niveau d’une rivalité systémique de la défense de la démocratie contre la pression autocrate du Continent sur l’Île. En appui de ses pressions sur Pékin, Washington a, le 7 octobre 2022, déclenché une féroce offensive contre le secteur des microprocesseurs (lire : « Micro-puces » et droit de propriété. La violente riposte américaine contre la Chine et ses contrefeux).

A long terme, cette bataille sur le terrain des hautes technologies restera l’un des arrière-plans les plus sensibles de la rivalité sino-américaine. Comptes tenus des enchevêtrements d’intérêts en Chine des sociétés américaines de microprocesseurs, Washington sera contraint de réduire la force de son offensive, tandis que les groupes chinois riposteront en cherchant à se libérer du carcan des brevets américains.

Note(s) :

[1En 1976, la croissance s’était affaissée à moins 1,6% à la fin de la révolution culturelle, coup de barre idéologique que Mao, visionnaire utopique du communisme intégral aux prises avec une forte contestation interne, avait imposé au peuple chinois et au parti. Par la suite, elle n’est plus jamais tombée aussi bas, s’envolant même à +15,2% en 1984, résultat de la bascule pragmatique de Deng Xiaoping qui libéra l’esprit d’entreprise et le sens commercial des Chinois que Mao avait étouffés.

La première chute à +3,9% en 1990, fut la conséquence de la brutale intervention de l’APL à Tian An Men contre les manifestants qui réclamaient la démocratie, le 4 juin 1989. Deux années plus tard, elle était remontée à +14%, après le « voyage dans le sud » de Deng qui, contre les conservateurs du parti relança l’ouverture pragmatique – « Chinois enrichissez-vous » et « peu importe que le chat soit noir ou blanc pourvu qu’il attrape la souris » -.

Durant les quinze années qui suivirent (ère Jiang Zemin et une partie des mandats de Hu Jintao), la croissance est restée supérieure à +7,5% avec retour à +14% en 2007. C’est à partir de cette date que les chiffres montrent les premiers effets d’une baisse structurelle d’un modèle qui, mis sous tension par les concurrences salariales de ses voisins, touche à ses limites.

A l’avènement de Xi Jinping à l’automne 2012, elle était tombée à +7,9%. En 2017 à la fin de son premier mandat, elle avait encore freiné à +6%. En 2020, premier effet de la crise pandémique, elle a brutalement chuté à seulement +2,2%. Après un rebond de reprise en 2021 à +8,1%, en 2022, accusant le coup des effets cumulés des blocages de la stratégie de « zéro-covid » et du freinage structurel, elle s’est nouveau contractée à seulement +3% loin des prévisions officielles.

[2Pour le seul 17 janvier, à 5 jours du Nouvel An, près de 400 000 passagers sont partis des gares de Shanghai. Entre le 7 et le 13 janvier 70 000 vols domestiques ont été enregistrés soit 80% du niveau d’avant la pandémie. Au total entre le 7 janvier et le 15 février le ministère des transports estime le nombre total de voyages à travers le pays à 2,1 milliards.

[3Gazprom vend du gaz à la Chine via le premier gazoduc « Power of Siberia I » dans le cadre d’un contrat de 400 milliards de dollars sur 30 ans, lancé fin 2019. Prévu pour fournir 16 milliards de mètres cubes de gaz cette année, il atteindra sa pleine capacité de 38 milliards de m3/an d’ici 2025.
En février 2022, Pékin a également accepté d’acheter du gaz de l’île russe de Sakhaline, à transporter via un nouveau pipeline par la mer du Japon vers la province du Heilongjiang, dont la capacité atteindra 10 milliards de m3/an en 2026.

Enfin, le 16 septembre 2022, Vladimir Poutine, soucieux de remplacer ses clients européens, a proposé à Pékin d’acheminer également vers le Heilongjiang, le gaz de la péninsule de Yamal (Sibérie Occidentale) par un gazoduc de 2600 km baptisé « Power of Siberia II) transitant par la Mongolie et dont la capacité annuelle serait de 50 milliards de m3


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