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›› Chronique

L’innovation chinoise entre obsession techno-souverainiste et ressac économique

L’idéologie normative anti-occidentale de Xi Jinping a pris le pas sur les critères d’orthodoxie financière, d’efficacité de la recherche et de l’innovation. Illustration Sen Garcia.


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La nouvelle politique de « sécurité » chinoise est en fait le nouveau visage de l’ambition techno-souverainiste, voire techno-nationaliste du Parti-État. Cette orientation repose sur deux pieds, les entreprises d’État (SOE) et l’innovation.

Après avoir été promises à la découpe, les SOE sont aujourd’hui à la fois davantage soutenues par l’État et protégées de la concurrence (domestique ou internationale) pour jouer un rôle souverainiste en sécurisant leurs chaînes de valeur et en éliminant les risques associés à leurs activités.

Quant à l’innovation, l’organisation de son financement a été totalement repensée entre 2014 et 2019, ce qui permet aujourd’hui un pilotage stratégique et centralisé dans le cadre de priorités clairement établies, essentiellement orientées vers les sciences de l’ingénieur et la manufacture.

Cependant, pour l’auteur, le dirigisme ambiant ainsi que le cloisonnement institutionnel et disciplinaire nuisent à l’efficacité du système. Il résulte de cette politique de sécurité que l’économie chinoise est engagée dans un processus où l’allocation des ressources (capital, travail, technologie) est sous-optimale.

En s’imposant de tels coûts économiques dans une conjoncture actuelle peu favorable, la Chine augmente ses vulnérabilités.

L’autre conséquence de cette politique techno-souverainiste est d’une part les pressions en tout genre qui s’exerce sur les intérêts étrangers en Chine et d’autre part la chute brutale des IDE. S’y ajoute la multiplication des conflits commerciaux et technologiques qui font désormais de la Chine un pays à risque.

(*) Jean-Paul Lombart est le pseudonyme, d’un économiste chargé pour un ministère technique de suivre l’innovation en Chine et la coopération bilatérale franco-chinoise. Il a une bonne connaissance de la Chine pour y avoir exercé des responsabilités pendant une dizaine d’années.

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Dans le chapitre consacré à la Chine de son opus « Capital et idéologie » (2019), Thomas Piketty le dit sans détour : l’économie chinoise n’a rien de socialiste en plus de ne s’appuyer sur aucune théorie économique depuis des lustres. Selon lui, en Chine, « … le postcommunisme (…) serait devenu en ce début de XXIe siècle le meilleur allié de l’hyper-capitalisme » (p. 22).

On comprend pourquoi les émissaires du PCC ont immédiatement entrepris le célèbre économiste pour qu’il se censure et avance des conclusions plus conformes avec la vision normative du Parti unique [1].

C’est pourtant une évidence, en Chine, toutes les références au marxisme ont quasiment disparu. Quant aux recherches sur l’œuvre du grand philosophe allemand, elles fonctionnent désormais à très bas bruit lorsqu’elles ne se sont pas transformées en centre d’étude sur la pensée de XI Jinping ou sur « le socialisme aux caractéristiques chinoises ».

L’état et les entreprises publiques

Néanmoins, il est un domaine que l’économiste Thomas Piketty reconnaît volontiers comme étant un attribut des économies « post-communistes », c’est le rôle de l’État.

Ainsi, dans l’économie chinoise ce dernier détiendrait selon lui 30% de tout ce qu’il y a à posséder en Chine et 50% des entreprises. Dit autrement, malgré des inégalités, parfois supérieures aux États-Unis, la Chine dispose d’un État fort, sinon riche.

Selon l’économiste, dans un monde globalisé, c’est d’autant plus un avantage économique que la prospérité de l’Occident ne reposerait que sur les patrimoines privés, eux-mêmes contenant des créances de leurs propres États après que leurs gouvernements aient cédé des actifs publics ou même des droits de tirage sur de futurs impôts à des investisseurs privés [2] pour faire face à leurs obligations d’État providence ou pour payer leurs fonctionnaires.

D’où sa formule lapidaire concernant les pays de l’OCDE, « pays riches, États pauvres ».

Peut-on inverser la formule concernant la Chine ? L’État chinois est-il vraiment riche ? A défaut de pouvoir effectivement mesurer sa richesse, on doit convenir qu’il est à la fois omnipotent et puissant en raison de la double confusion entre les secteurs publics et privés ainsi qu’entre les rôles de l’État et du PCC.
Sans parler de l’hybridation structurelle entre le militaire et le civil.

L’économie chinoise se caractérise donc par une confusion institutionnalisée des genres et des rôles. Dans les échanges globalisés où la Chine accueille des Investissements Directs Étrangers (IDE), ce mélange, qui fait du pays un objet économique encore mal cerné, expose inévitablement la Chine à des conflits ou à des contradictions majeures.

Il faut dire que le peu de chiffres dont on dispose donnent le tournis : la seule Commission chargée des actifs publics (SASAC) supervise 97 conglomérats publics dans tous les secteurs, y compris les plus stratégiques comme le nucléaire, l’aéronautique, l’espace ou l’électronique. Certains génèrent plusieurs centaines de milliards de dollars de chiffre d’affaires.

Dans la pratique, un autre chiffre fait consensus, c’est celui des entreprises d’État (SOE). Elles seraient en fait 150 000, dont les deux tiers placées sous le contrôle des gouvernements locaux, des provinces ou des villes. Avec cependant le talon d’Achille que sur les 280% de dette sur PIB de la Chine, 115% seraient attribuables aux entreprises d’État.

Une opportune réhabilitation des entreprises publiques.

Pourquoi évoquer les entreprises d’État ? Essentiellement parce que, sur fond de ressac économique combiné à une chute brutale des IDE, elles trouvent une nouvelle légitimité aux yeux du PCC qui les utilise comme un levier au service des ambitions techno-souverainistes du moment.

Pour le coup, ces entreprises reviennent de loin car elles étaient encore promises à la découpe au milieu des années 2010, le PCC les ayant même parfois qualifiées « d’entreprises zombies » en même temps qu’il prétendait en redresser certaines pour ensuite approcher des investisseurs (y compris étrangers !) capables de les reprendre.

C’est à cette époque que leur gouvernance a été réformée pour les rapprocher d’un fonctionnement privé et que, tirant profit des marchés chinois porteurs qui facilitaient les dégraissages, elles furent forcées de se séparer d’un nombre considérable de salariés. Avant 2017, certaines entreprises d’État ont en effet pu être fusionnées, remodelées ou en partie découpées pour rejoindre les actifs de grands groupes cotés.

Mais après cette date, le mouvement s’est interrompu, non seulement parce que les marchés ont amorcé une longue décroissance jusqu’au niveau d’étiage qu’on leur connaît aujourd’hui, mais aussi parce qu’avec Xi Jinping, la doctrine du Parti-État a changé.

Concentrant tous les grands secteurs associés à des enjeux de souveraineté économiques, les entreprises d’État qui détiennent souvent des positions de marché nationales ou internationales, sont aujourd’hui encouragées à favoriser la mise en œuvre de la politique de « sécurité » du PCC, nouveau visage des ambitions techno-nationalistes de la Chine.

En échange d’un accès facilité aux sources de financement, à la commande publique, aux licences étrangères mais aussi d’un engagement de l’État à les protéger de la concurrence extérieure et intérieure (y compris venant des PMI-PME privées), elles ont pour mission de sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement et de valeur pour « consolider les forces économiques du pays », et « (..) développer un avantage comparatif en renforçant (les) chaînes industrielles existantes » [3].

Selon XI Jinping, cette orientation est dictée par la nécessité de « (…) développer une dissuasion efficace contre la volonté d’autres pays de rompre les chaînes d’approvisionnement chinoises ».

Parmi les secteurs mentionnés dans le discours du Président chinois : le ferroviaire à grande vitesse, les équipements de production électrique et les nouvelles énergies. Naturellement, dans son esprit, leurs usines de production et leurs chaînes d’approvisionnement vitales pour la sécurité nationale, doivent être auto-suffisantes et situées en Chine.

Note(s) :

[1L’affaire est assez bien documentée, (lire Où en est la reprise économique ?). Dans le livre « Capital et idéologie », le PCC avait exigé de couper 23 passages dans un chapitre de 38 pages parti de l’ouvrage de 1150 pages.

Selon T. Piketty : « L’État chinois dispose d’actifs considérables, très supérieurs à ses dettes, ce qui lui donne les moyens d’une politique ambitieuse, au niveau domestique comme sur le plan international, en particulier concernant les investissements en infrastructures et dans la transition énergétique. La puissance publique détient actuellement 30% de tout ce qu’il y a à posséder en Chine (10% de l’immobilier, 50% des entreprises) ».

[2T. Piketty, Le Monde, 10/7/2021

[3XI Jinping, 10 avril 2020


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