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›› Taiwan

« Quand Pékin harcèle Taïwan, Washington lui ouvre les bras. »

Vers la fin du statu quo ?

La critique de Tsai stigmatisant l’emballement irraisonné des pressions chinoises renvoie aux récents reproches directement adressés par le professeur Xu Zhangrun au Président Xi Jinping accusé de hisser trop haut la voile nationaliste, provoquant un face-à-face dangereux avec les États-Unis (lire : Le dangereux face-à-face entre Pékin et Washington.). Le 21 août Amanda Mansour, porte-parole de l’Institut Américain de Taïwan exhortait la Chine à « cesser ses pressions mettant en danger le système socio-économique et la sécurité de l’Île. »

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Il est vrai que depuis l’élection de la Présidente issue de la mouvance indépendantiste, l’impatience du bureau politique et du Président Xi Jinping ont ravivé les tensions dans le Détroit. Le 1er août 2017, 15 mois après l’élection de Tsai Ing-wen marquant la cuisante défaite du Kuomintang qui, à l’inverse du Minjindang, reconnaît la « politique d’une seule Chine », Xi Jinping avait, à l’occasion de l’anniversaire de l’APL, prononcé une très sévère mise en garde n’excluant pas l’usage de la force.

La fermeté de la formulation énumérant les conditions sans appel d’une réaction chinoise, réveillait la détermination intransigeante de la « loi anti-sécession » promulguée en 2005 en riposte au « Taiwan Relation Act » des Américains alors que l’Île avait élu Chgen Shui-bian premier indépendantiste arrivé au pouvoir à Taipei. Elle stipulait qu’il n’existait « aucune circonstance, aucune forme, aucune appellation » pouvant justifier une déclaration d’indépendance de l’Île et prévenait que, dans cette éventualité, la Chine userait en représailles de « moyens non pacifiques ».

Stricto sensu, la menace d’usage de la force inscrite dans la loi de 2005 n’est donc pas une nouveauté dans l’histoire heurtée des relations dans le Détroit. Mais l’actuelle direction exprime une impatience nouvelle assortie de la date limite de 2049, symbolique centenaire de l’accession du Parti au pouvoir, échéance à laquelle devra être réalisée la réunification « de la mère patrie », tâche historique indispensable à l’accomplissement « du rêve chinois ».

Il reste à savoir si l’impatience nationaliste de Pékin ripostant à la forte rémanence de la pensée séparatiste aujourd’hui aux commandes de l’Île, ne provoquera pas, au contraire de l’effet dissuasif recherché, un resserrement d’orgueil de l’opinion autour de Tsai Ing-wen et le développement encore plus affirmé des idées identitaires, d’autant plus combatives que, sur le Continent, les libertés politiques dont jouissent les Taïwanais n’ont pas cours.

C’est en tous cas le vœu et le pari politique de Tsai Ing-wen : « les pressions chinoises » a t-elle dit, « ne feront que renforcer la cohésion des Taïwanais et leur volonté de participer aux affaires du monde ».

Essai de prospective.

En mai dernier Tsai terminait sa deuxième année de mandat avec un bilan économique bien plus encourageant que celui de son prédécesseur. Tirant profit de la demande globale, la croissance atteignait 2,86% en 2017, tandis que le chômage était à 3,63% en janvier, sur fond d’excellentes performances de la bourse qui, en avril dernier, était en hausse pour le 12e mois consécutif.

S’appuyant sur cette conjoncture positive, Tsai a lancé sa « politique d’ouverture au sud – 新 南 行 政策 - » pour tenter de libérer l’Île de sa forte dépendance au marché chinois. Elle y ajoute des efforts pour attirer des talents taiwanais expatriés, notamment dans les secteurs de la biochimie et des énergies propres.

Enfin, à sa stratégie visant à alléger le poids des pressions économiques du Continent, Tsai a, en fort contraste avec la politique énergétique de Pékin, ajouté la promesse de libérer l’Île de sa dépendance au nucléaire d’ici 2025. (voir notre rubrique Technologies)

L’hypothèque chinoise et les élections locales

Pour autant, les difficiles relations avec Pékin auxquelles s’ajoutent les effets de sa politique de redressement intérieur jugée insuffisante par sa famille politique, tandis que les nouvelles lois travail, le choix anti-nucléaire et la réforme des pensions heurtent les intérêts de ses adversaires, sont à l’origine d’une audience en demi-teinte.

A ces controverses socio-économiques s’ajoute l’angoisse des Taïwanais dont les sentiments identitaires sont balancés par la crainte des tensions dans le Détroit, mécaniquement reliés à la présence au pouvoir d’une pensée politique séparatiste.

C’est dans ce contexte que l’Île se prépare aux élections locales de novembre dont le résultat sera crucial pour la suite du mandat de Tsai. Un nouveau succès électoral du Minjindang inversera la pression et obligera Pékin à revoir sa stratégie sous peine de renforcer encore dangereusement la désaffection des Taïwanais pour le Continent. Un échec en revanche, compliquera sérieusement l’équation de Tsai.

Au-dessus plane comme toujours la « carte sauvage » chinoise. L’inconnue est de nature politique et psychologique.

S’il est vrai que Tsai réfute les injonctions la poussant à renier la base politique de son Parti opposé aux consensus de 1992 « d’une seule Chine », que l’opposition reconnaît, l’augmentation obstinée des pressions de Pékin pourrait fédérer l’opinion autour d’une politique cohérente dans le Détroit.

A cet égard, le Bureau politique Chinois devrait prêter attention à l’évolution récente du KMT qui, lors de son congrès de l’été 2017 avait, sous l’impulsion de son nouveau président W u Den-yih, retiré de la plateforme politique de son Parti la recherche d’un traité de paix avec le Continent en amont d’une éventuelle réunification.

Prise dans la perspective des élections locales de novembre 2018, la décision avait pour but de mieux adapter la plateforme du Parti à l’évolution des sentiments publics à l’égard de la Chine dont les pressions exercées sur l’Île induisent un malaise général dans l’opinion.

Toujours opposé à l’indépendance, le vieux parti de Tchang Kai-chek est en efft revenu à la plateforme de Ma Ying-jeou privilégiant le statuquo « ni indépendance, ni usage de la force » dont tout indique que Pékin, pressé par sa nouvelle obsession ré-unificatrice avant 2049, ne veut plus.

A ce sujet lire l’analyse de QC sur la position de Wu Den-yi : Puissance nationaliste chinoise et désarroi démocratique taïwanais.

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Alors que dans l’Île les partis fourbissent leurs programmes face à Pékin voulant à toutes forces sortir les relations dans le Détroit de l’immobilisme datant de 1949, il faut s’intéresser aux enquêtes d’opinion.

Au-delà des sondages à l’emporte pièce sans signification comme celui d’avril dernier révélant que 70% des jeunes Taïwanais seraient « prêts à mourir pour l’indépendance de l’Île », répondant en miroir aux rodomontades du Parti communiste chinois qui rabâche sans faiblir le mensonge selon lequel tout le peuple chinois voudrait se sacrifier de gaîté de cœur pour l’Île, une réalité s’impose :

A Taïwan la pensée privilégiant une identité séparée du Continent se renforce inexorablement.

S’il est vrai qu’une forte proportion de Taïwanais reste attachée au maintien de la situation telle qu’elle est, les enquêtes révèlent la nette augmentation de la proportion de ceux espérant que le statu quo évolue à terme vers l’indépendance.

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Selon les archives et un sondage réalisé en juin 2018 par l’Université Nationale Chengchi, publié par le Financial Times donnant l’évolution entre 1994 et 2018, la proportion des opinions en faveur d’un statuquo sans limite de temps est passée de 10 à 25% ; celle favorable au statuquo en attendant une décision ultérieure est passée de 60 à 40% ;

En revanche le statuquo conduisant à terme à l’indépendance qui ne recueillait que 8% des réponses en 1994 en recueille 15% en 2018 ; mais la proportion des réponses en faveur de l’indépendance immédiate reste faible, inférieure à 5%. De même celle en faveur de la réunification est en moyenne restée voisine de 3%.

S’agissant de l’identité, la part de ceux qui se sentent d’abord et uniquement Taïwanais est passée de 18% en 1994 à 58% en 2018, avec un pic à 60% en 2014. Celle de ceux qui se sentent à la fois Taïwanais et Chinois est en recul, passée de 45% à 35%. Quant à la proportion des sondés qui revendiquent l’appartenance culturelle unique à la Chine, elle est tombée de 25% à 5%.


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