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›› Editorial

Le révisionnisme sino-russe sur les traces de la révolution mondiale maoïste. Au Moyen-Orient, les risques avérés d’une escalade mortelle

Les références de Xi Jinping à Mao sont connues. Même si elles s’efforcent à la synthèse honnête entre les qualités et les défauts du demiurge, il n’en reste pas moins qu’elles traduisent une révérence admirative à laquelle nombre d’intellectuels chinois se refusent.

Une des plus connues est relayée par l’agence Chine Nouvelle : « Mao est une grande figure qui a changé le visage de la nation et conduit le peuple chinois vers un nouveau destin ». Par souci d’objectivité, et conscient que le sujet était politiquement sensible, il avait ajouté « Les dirigeants révolutionnaires ne sont pas des Dieux, mais des êtres humains. »

Nous ne devons pas les vénérer comme des Dieux ni interdire aux critiques de signaler et de corriger leurs erreurs simplement parce qu’ils sont grands. Mais nous ne pouvons pas non plus les répudier totalement et effacer leurs exploits historiques simplement parce qu’ils ont commis des erreurs. ».

L’analyse qui suit examine les dernières initiatives internationales de Pékin empiétant sur l’influence stratégique globale de Washington, par le biais de l’idée courant dans l’appareil selon laquelle tout comme Mao s’était emparé des villes par le biais des campagnes, la Chine pourrait subjuguer l’Occident par le détour du « sud global » et des ennemis de l’Amérique, tels que la Corée du Nord, la République islamique d’Iran ou même le Hamas, reçu à Moscou et que Pékin refuse de designer comme un mouvement terroriste. Photos « The Daily Star ».


*

Examinant la nature du régime chinois et ses initiatives depuis 1949, on constate au moins deux constantes. A l’intérieur, la protection becs et ongles de la prévalence politique de l’appareil communiste ; à l’extérieur une stratégie plus ou moins assumée selon les périodes, de contestation de l’Occident (Voir la Note de contexte).

Faisant feu de tout bois, le discours vindicatif de Pékin attisé par les souvenirs brûlants du « siècle des humiliations » infligées à la Chine par les puissances occidentales auxquelles s’étaient joints le Japon et l’Empire russe, entretient la mythologie maoïste de la guerre civile chinoise.

Perpétuant l’image de l’encerclement des villes assimilées à l’Occident par les campagnes aujourd’hui identifiées au « Sud global » opprimé par les puissances euro-atlantiques, Pékin allié à la Russie, multiplie les initiatives piétinant la périphérie des plates-bandes de la prévalence occidentale.

La stratégie de Pékin porte-drapeau de la contestation de l’Occident par le détour du « Sud global » n’a pas de cesse. Elle avait atteint deux points d’apogée par une spectaculaire tentative de médiation entre Ryad et Téhéran en mars 2023 (lire : Un vent chinois s’est levé au Moyen Orient), suivie cinq mois plus tard par l’élargissement des BRICS (lire : Les BRICS à Johannesburg, symbole de la contestation de l’Amérique et de l’Occident).

Récemment en connivence avec Moscou, elle s’est encore exprimée en direction de la Corée du Nord par un « voyage de bons offices », au moment même où Pyongyang accélérait ses livraisons à la Russie de plusieurs millions d’obus d’artillerie et de centaines de milliers de munitions de lance-roquettes multiples.

A propos de Taïwan, tout en continuant d’ostraciser la mouvance très américanisée de rupture avec le Continent incarnée par Tsai Ing-wen et son successeur Lai Qing De, Xi Jinping qui accuse Washington d’ingérence dans les Affaire chinoises, courtise le KMT favorable à « la politique d’une seule Chine » prônée par l’ancien président Ma Ying-jeou invité à Pékin le 10 avril dernier.

Après les longues stratégies d’influence chinoise en Afrique (lire : « L’éducation globale » vecteur de l’influence chinoise dans les pays du sud) et en Amérique du sud (lire : Le lent recul de la prévalence globale du Dollar, le choc des cultures et l’enjeu du « sud-global »), la dernière séquence de piétinement d’une zone d’influence de l’Amérique et de ses alliés occidentaux a commencé au cours de la deuxième quinzaine de mars.

Facilitée par les critiques fustigeant la brutalité de la riposte israélienne à Gaza après le pogrom du 7 octobre, la première étape a eu lieu au Moyen Orient au milieu d’une déflagration ayant violemment enflammé les racines séculaires d’un affrontement interreligieux et interculturel où la ligne de partage distingue clairement la puissance des intérêts de Washington [1] confronté à la contestation radicale d’une nébuleuse pro-palestinienne, symbole de la révolte acharnée contre l’existence de l’État juif.

Avec le Hamas à Doha et Kim Jong Un à Pyongyang.

Le 17 mars, Wang Kejian, émissaire du Waijiaobu et ancien ambassadeur de Chine au Liban, rencontrait à Doha le chef politique du Hamas Ismail Haniyeh, après s’être rendu en Israël et en Cisjordanie occupée. Alors que Pékin ne cesse d’insister sur l’urgence d’un cessez-le-feu à Gaza, mais se tait sur le voyage de Wang au Qatar, le seul commentaire sur la rencontre est venu du Hamas.

Sans évoquer la moindre piste d’une solution possible, le porte-parole des terroristes qui détiennent toujours une centaine d’otages dont il est impossible de confirmer la survie [2] n’a communiqué aucune information notable sur la rencontre, se contentant d’exiger le retrait d’Israël de la Bande Gaza et de louer le rôle joué par la Chine au Conseil de sécurité et à la Cour Internationale de justice.

Une autre incursion sur les plates-bandes américaines et occidentales a eu lieu à Pyongyang le 11 avril dernier.

Soixante et onze ans après l’armistice de la guerre de Corée d’une cruelle guerre de partition dont la paix n’a toujours pas été signée et quinze années après l’échec du « dialogue à six » (Les deux Corée, la Russie, la Chine, les États-Unis et le Japon), vertueuse initiative de solidarité internationale destinée à mettre un terme au nucléaire militaire nord-coréen, définitivement torpillée par Pyongyang en 2009, Moscou et Pékin ont basculé avec armes et bagages dans la vaste nébuleuse anti-occidentale.

(Lire : Pékin et Moscou solidaires de Pyongyang, ultimes fossoyeurs du Traité de Non-Prolifération)

En dépêchant à Pyongyang Zhao Leji, 赵乐际, 67 ans (voir sa biographie : Membres du 20e Bureau politique) Président de l’Assemblée Nationale, nº3 du régime, membre du Comité permanent et fidèle de la première heure de Xi Jinping, Pékin souligne les lignes de fracture géopolitique.

Cinq années après la visite surprise de Xi Jinping à Pyongyang (lire : Par sa visite d’État, Xi Jinping revient dans le jeu à Pyongyang), et contrairement au discours officiel du Waijiaobu qui évoque une visite de « bons offices », la reprise du dialogue de Pékin avec Kim à ce niveau ne laisse aucun doute sur la bascule hors de l’ambiguïté entretenue par Pékin jusqu’en 2019.

Alors que Kim qui fut reçu au Kremlin en septembre 2023, hausse à nouveau le ton de sa rhétorique belliqueuse, tout en poursuivant ses livraisons d’armes et de munitions à l’armée russe engagée en Ukraine, la visite de Zhao Leji, souligne, s’il en était encore besoin, le durcissement antioccidental et révisionniste de la connivence sino-russe.

Plus concrètement, même si rien n’a filtré des échanges, entre Zhao et Choe Ryong Hae, 74 ans, président du présidium de l’Assemblée populaire suprême, on peut, sans risque de se tromper, faire l’hypothèse que les deux se sont retrouvés autour de l’exigence de cesser les manœuvres conjointes de l’alliance Séoul-Washington, contre lesquelles Pyongyang proteste régulièrement en multipliant ses tests missiles. Plus largement l’objectif ultime de Pékin – sujet tabou et non négociable pour Washington - reste la fin de la présence militaire américaine en Corée du sud.

La stratégie sino-russe de Xi Jinping entretenue alors même que l’économie souffre des contrefeux du cloisonnement, retours de flammes du durcissement géopolitique révisionniste de Pékin [3], a récemment été réaffirmée par la visite à Pékin de Serge Lavrov.

Ce dernier a rencontré Xi Jinping le 9 avril dernier pour préparer une nouvelle visite du nº1 chinois à Moscou alors que l’Amérique et ses alliés augmentent leurs pressions contre la Chine et la Russie.

Note(s) :

[1Quels que soient les commentaires des médias et compte-tenu des tensions internes de la politique intérieure américaine, il est peu probable qu’en année électorale la proximité stratégique entre Washington et Tel Aviv se délite.

De même, en dépit des graves dommages collatéraux de la guerre dans l’enclave de Gaza, il est aussi douteux qu’Israël menacé dans sa survie accepte d’amender sur le fond sa stratégie d’éradication des terroristes du Hamas réfugiés au sein d’une population en partie tenue en otage.

Pour ces raisons, en l’état actuel du conflit, l’initiative de Pékin, affichage de posture anti-occidentale n’a, pas plus que les autres, la capacité de mettre un terme aux affrontements.

[2D’après des sources contactées par CNN, le NYT et le Guardian, relayées le 12 avril par le Huffington Post, à la date 11 avril, Ismail Haniyeh n’aurait pas été en mesure d’accepter l’accord de trêve en discussion prévoyant la libération de 40 otages encore aux mains du groupe islamiste.

La raison serait qu’il n’aurait pas les 40 otages répondant aux critères mis sur la table par Tel Aviv : toutes les femmes, dont cinq soldates, les malades et les hommes âgés contre 800 à 900 prisonniers palestiniens. Lire : Guerre Israël-Gaza : Le Hamas dit ne pas avoir 40 otages remplissant les critères de l’accord de trêve.

[3Le 11 avril, alors que le groupe immobilier shanghaïen Shimao, dont l’action a chuté de 40%, se déclarait incapable d’honorer une échéance de remboursement de dettes de 200 millions de $ US, l’agence de notation financière américaine Fitch révisait à la baisse de « Stables » à « Négatives » les perspectives du crédit souverain chinois, soulignant que « les larges déficits et l’augmentation de la dette publique au cours des dernières années avaient érodé les réserves budgétaires. »

Selon Pékin qui a réagi d’autant plus aigrement que la stabilité financière est un de ses premiers soucis (lire : Dans l’urgence d’un branle-bas, He Lifeng prend la tête de la Commission Centrale des finances), la dégradation décidée par Fitch s’appuie sur une « méthodologie erronée » ignorant que l’exécutif a engagé l’économie sur la voie d’une transition vertueuse visant à la débarrasser de sa dépendance excessive au secteur immobilier.

(NDLR. La réalité est plus nuancée. S’il est vrai que Xi Jinping s’est attaqué aux errements du secteur immobilier, il l’a fait avec une telle brutalité que l’appareil, confronté aux effets indésirables des mises aux normes dont le plus grave fut l’effondrement des investissements immobiliers et l’arrêt des chantiers en cours, a été contraint de faire marche arrière.

(Lire notre article : Au milieu de la reprise, les inquiétudes de l’appareil pour 2022).

La brusquerie de la thérapie rejoint celle infligée au secteur du numérique, plus proche d’une mise au pas politique que d’une réforme économique (lire : Une reprise en main politique plus qu’une réforme économique).


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